• Reflexions-2004

    La dernière rédaction des "éléments de réflexion" est datée du 3 octobre 2004.

  • Chaque année nous nous livrons au jeu des voeux de Nouvel An. Chaque année le pape et bien d’autres demandent la venue d’un monde de paix. Chaque année la violence et les guerres endeuillent un peu plus le monde. Chaque année de nouveaux conflits fragilisent l’équilibre d’une région puis de la planète entière. Chacun de nos gestes, paroles, écrits, goûts, émotions les plus intimes… est soumis à l’analyse de forces de sécurité censées protéger nos libertés. La psychose de l’attentat terroriste nous jette dans les bras de prétendus sauveurs qui prennent le pouvoir sur nous.

    Les vœux de paix risquent de demeurer lettre morte tant qu’ils ne sont pas accompagnés par l’engagement de chaque partie à faire son propre examen de conscience. À se contenter de dénoncer un axe du mal, on oublie que le mal réside aussi en soi, qu’il a sa racine chez soi comme chez l’autre. À diviser arbitrairement le monde en deux, chaque protagoniste se croit le détenteur de la vérité et de la justice et s’estime justifié de vouloir imposer à l’autre sa culture, sa religion, sa puissance.

    Sous prétexte d’établir la paix on déclare des guerres préventives, on construit des murs, on prend en otage des populations entières, on embastille sans s’occuper des Droits de l’Homme, on se met à l’abri d’une justice internationale en soudoyant des peuples pauvres, on établit l’ordre mondial à sa convenance. La notion de justice est vidée de sa substance, la justice s’identifiant dès lors avec le profit que le vainqueur tire sans vergogne de sa supériorité.

     

    Pas de paix sans justice, qu’il s’agisse de la justice ordinaire qui met les délinquants en prison, de la justice sociale entre les ayant droit d’une société, ou de la justice internationale. La justice ne peut pas être arbitraire ni soumise aux pressions de quelques-uns. Elle doit être indépendante des intérêts des uns et des autres. Elle doit trouver sa source dans des concertations, des compromis, des prises de conscience communes. Le résultat sera imparfait, mais il constituera une étape. La justice existe-t-elle à l’état pur ? Est-elle autre chose qu’une voie, un chemin difficile ?

    La justice est la pierre d’angle de la paix. C’est parce que la justice est bafouée, parce que certains se sont emparés des centres de décision et de pouvoir, en excluant les autres, que la paix est difficile. Comment un peuple, une classe sociale, une personne peuvent-ils accepter la paix qu’on leur propose quand ils se rendent compte qu’elle ne fait que légitimer leur marginalisation ? Les exemples internationaux et sociaux abondent de ces fausses paix, sources de nouveaux conflits. La vraie justice n’humilie ni ne lèse personne. Elle cherche à rendre à chacun son dû et à instaurer la paix.

    La justice ne tombe pas du ciel des puissants. Elle est la même pour tous parce qu’elle représente une valeur universelle, une valeur qui reconnaît à chaque personne et à chaque groupe humain un égal droit à vivre et à s’exprimer, mais aussi à être respecté dans sa dignité et son honneur. À cette condition peut-être parviendra-t-elle à faire sortir nos sociétés des contradictions dans lesquelles elles s’enchaînent, qui font le lit de nouvelles violences. Le perdant ne doit pas se sentir humilié et le gagnant ne doit pas devenir arrogant. La justice doit faire en sorte que tout le monde puisse vivre et travailler ensemble pour consolider la paix entre les personnes et les groupes humains.

     

    Rendre la justice ne suffit pas. Il ne suffit pas, pour établir et consolider la paix, de faire de justes déclarations ou de prendre de justes décisions. La paix n’est pas établie parce qu’une justice équitable a été rendue. Elle ne l’est que dans la mesure où les parties en question vivent de la justice, y adhérent du fond de leur intelligence et de leur cœur et la mettent en œuvre. Il ne suffit pas de signer de bons documents, encore faut-il les rendre opérationnels et leur permettre de faire leur travail de paix. La justice ne devient productrice de paix que le jour où les parties s’approprient, font leur la décision censée sinon les réconcilier, du moins les mettre sur le chemin d’une coopération à venir.

    L’intériorisation est une étape indispensable au succès de la justice pour la paix. Même si des griefs ou des réticences demeurent, chacun doit se donner la peine de faire réussir la décision prise sans esprit de revanche et sans soupçonner l’autre d’idées machiavéliques. On ne peut pas réussir cette intériorisation sans accepter de perdre du désir hégémonique présent en chacune des parties.

    Comment réussir ce travail intérieur si on ne voit pas la valeur de ce qui est en jeu ? Tout dépend de la prise au sérieux de nos actes. La justice et la paix passent par la médiation de nos actes. Nous ne pouvons pas entrer en paix internationale, sociale, interpersonnelle ou même strictement personnelle sans nous engager à devenir actifs, sans nous mettre courageusement à la tâche.

     

    2004, année de la paix dans la justice et de la justice dans la paix ?


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  • L’évolution des techniques, la fiabilité de toutes les innovations mécaniques nous font croire que les risques ont disparu. C’est la stupeur lorsqu’un accident spectaculaire survient au point que, dans notre monde de terrorisme, on a du mal à croire qu’il peut être du, non pas à un attentat, mais à une banale cause mécanique ou à une erreur humaine. Or la mécanique et l’homme sont l’un et l’autre faillibles. Nous devons nous résigner à ce que, chaque fois que nous confions notre vie à une mécanique ou à la main des hommes, nous courons le risque de la perdre.

    En raison de la fiabilité supposée des techniques, un accident de quelque ampleur prend aujourd’hui l’allure d’un drame national, comme si la patrie était en danger et devait se solidariser avec les familles des victimes. La nation entière se trouve associée, par médias interposés, à ce qu’on appelle le travail de deuil. Chacun est appelé à y aller de sa tristesse en apprenant la disparition des enfants avec leur mère, de l’institutrice et des autres touristes… soudain devenus proches et familiers. S’ensuit une liturgie à la dimension de l’événement dans laquelle place est faite à l’affliction, à la détresse, à la cérémonie religieuse, à la visite d’un ou de deux ministres sinon du Président de la République sans oublier la cohorte des médecins, psychologues et autres spécialistes du chagrin.

    Moyennant ce déploiement, le travail de deuil, nous dit-on, peut commencer. Toutefois l’émotion passée, on fera savoir que ce travail de deuil ne pourra vraiment s’achever que lorsque des indemnités financières auront été décidées puis versées. Curieux mélange de commisération généralisée et d’intérêt bien compris. Tout cela est humain, bien humain. Mais la peine ressentie par les familles, le vide et l’absence laissés par ceux qu’on a aimés et qu’on continue d’aimer, ont-ils besoin, pour se les dire à soi-même et en souffrir, de tout cet attirail médiatique ?

     

    Nous sommes dans une société du spectacle, dans une société qui se donne en spectacle et qui prétend régler les problèmes personnels les plus intimes et les plus douloureux par l’expression publique. Se donne-t-on les moyens de faire le deuil en profondeur ? Ne confondons-nous pas le deuil et l’apparence du deuil ? La mise en scène du deuil n’est pas le deuil et le spectateur ne doit pas se tromper sur la qualité de ses émotions. Tel qui pleure en regardant les images télévisuelles peut très bien avoir le cœur sec lorsqu’il s’agit de ses affaires personnelles, lorsque se mêlent ses passions, ses jalousies et ses vieilles rancœurs dont il est bien incapable de faire le moindre deuil, sinon au terme d’un effort qui lui demanderait un engagement total dans le pardon. La souffrance des autres donnée en spectacle n’est pas la meilleure pédagogie du deuil. Mieux vaut une pièce de théâtre ou un film qui a au moins l’avantage d’être le fruit de l’imagination, même s’il s’agit de représenter un fait réel. Sorti des mains de l’artiste, le fait-divers est une création nouvelle, avec le recul nécessaire

     

    Une constante du deuil tel qu’on nous le présente aujourd’hui est d’être tourné vers le passé. On veut comprendre ce qui s’est produit, revivre les derniers instants du disparu, l’accompagner dans son effroi, aller sur le lieu où ont eu lieu l’accident puis la mort. Toucher ce lieu, c’est retrouver celui qui était vivant, passer un moment avec lui, s’assurer qu’il est bien, là où il est. Cette rencontre vaut accompagnement du mort, apaise les craintes imaginaires et transfère le disparu dans l’intime du cœur.

    Mais le deuil peut-il se suffire de la reconstitution du passé et de la ré appropriation des émotions ? Aucun deuil, il est vrai, ne peut négliger le travail de patience qui conduit à donner sa place au mort dans son cœur, où l’on vient s’abreuver, comme à une source inépuisable, de souvenirs mais aussi de la paix que procure la relation nouvelle avec l’aimé, désormais présent par mode d’absence. Mais pour vivre à ce niveau de profondeur, le passé ne suffit pas car il reste en suspens dans le vide. Or le deuil est une vie au présent avec le défunt, de façon aussi réelle que possible.

    Sans nier l’importance et l’intérêt du travail de deuil tel que la société contemporaine en parle, il semble que ce travail ne puisse être réellement achevé que par un regard non pas sur le passé mais essentiellement sur l’avenir. Pendant les siècles où n’existaient ni les médias, ni les voyages funéraires, ni les psychologues, des milliers d’hommes et de femmes sont morts dans des catastrophes. Leurs familles et leur amis ont fait le deuil non pas seulement en glanant et rassemblant des souvenirs, mais en se projetant dans ce qui était pour eux une réalité, la présence du défunt auprès du Père. Une présence non pas fantasmatique, mais bien réelle puisque garantie par Celui qui était mort et qui est ressuscité. L’eucharistie était le lieu où être désormais en communion actuelle et active avec les défunts vivant dans la gloire de Dieu. Elle anticipait l’heure où les vivants iraient les rejoindre.

     

    Le travail de deuil, un travail à réinventer ?.


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  • Le sang est répandu en abondance par la violence des hommes dans ce temps qui est le nôtre : guerres, terrorisme, tortures, meurtres, blessures. La barbarie reste à l’ordre du jour. Ce n’est pas parce que nous tuons avec des moyens sophistiquées, sans toujours voir qui nous tuons, que nous sommes moins sauvages que nos prédécesseurs. Le goût du sang trouve encore des amateurs, les génocides récents en témoignent, ainsi que les représailles qui succèdent aux attaques où que ce soit.

    Principe vital, le sang l’est, dans la réalité comme dans l’imaginaire des hommes. Il est le symbole de la vie. Il a un caractère sacré. Le sang de l’homme devrait faire l’objet de tous nos soins. Or depuis le meurtre d’Abel, les hommes ne cessent de tuer leurs frères. Le sang d’Abel a beau crier vers Dieu inlassablement depuis ce jour, rien n’y fait. Dieu n’arrête pas la folie des hommes. Il se refuse également à faire disparaître les coupables. Il ne veut pas la vengeance. N’a-t-il pas protégé Cain ? Tout tueur bénéficie de la même protection. Dieu refuse de punir le crime de sang par le sang.

    Le sang est fait pour couler dans les veines et nourrir le corps, non pour être répandu sur le sol. Chacun le sait, la moindre maladie peut être décelée par le sang qui véhicule le meilleur mais aussi le pire en ce temps de virus. Le sang fait signe du moindre déséquilibre de l’organisme. La vie peut être sauvée par le sang volontairement donné et partagé. Au lieu de faire couler le sang d’un autre jusqu’à la mort, nous pouvons sauver sa vie par le don de notre propre sang.

     

    Tout au long de l’histoire religieuse des hommes, le sang a revêtu une telle valeur qu’il fut longtemps considéré comme la plus belle offrande à faire aux divinités. Que donner de plus précieux à un dieu sinon ce qui est au principe de la vie, qui a été reçu comme un don, mais qui demeure menacé en permanence, peut-être même par des divinités vengeresses assoiffées de sang ? On commença par verser le sang des enfants ou des ennemis, puis on a « humanisé » le rituel en se contentant du sang des animaux, les dieux étant censés être devenus moins exigeants.

    Les dieux ont-ils réellement éprouvé le besoin d’être honorés par du sang ? Verser le sang, c’est toujours faire une violence à la vie. Verser du sang pour honorer une divinité, c’est commettre un acte violent ; c’est estimer que la violence sanglante est aimée par cette divinité et qu’elle y trouve plaisir ; c’est faire de la violence une des pièces maîtresses de la vie quotidienne des hommes. Certes offrir le sang d’un animal vaut mieux qu’offrir le sang d’un homme, fut-il son ennemi, mais le problème de fond demeure : comment se peut-il que des dieux prennent plaisir à voir couler le sang dans un rituel religieux , attisant ainsi la violence naturelle qui est au cœur de l’homme,?

    Tous les grand prophètes d’Israël qui ont précédé le Christ, pendant des siècles, ont fait part de l’écœurement du Dieu unique devant les sacrifices de bêtes grillées et les holocaustes fumants. « Ils ne servent à rien », disait-il. Dieu se sentait outragé qu’on ose penser qu’il prenait quelque plaisir au sang répandu pour lui. Il ne cessait de répéter : « Tous vos holocaustes me font vomir », « Pratiquez plutôt la justice et l’accueil du pauvre », « Venez à moi avec un cœur contrit ».

     

    Pourtant il n’est pas dit que tout sang versé ne serve à rien. Il n’est pas dit que ce symbole de la vie, par le don unique et total non plus d’un animal mais d’un homme juste, Jésus, n’ait pu avoir une valeur que Dieu reconnaisse. Non que ce sang versé ait été agréable à Dieu. Dieu n’a pu que souffrir de la brutalité et de l’aveuglement des hommes qui ont mis à mort l’homme-Dieu, son Fils. Les hommes rejetaient le Dieu de paix qu’il annonçait. Ils se sont retournés contre ce Dieu qui refusait d’être à l’image de la violence qui les habitait. Dans la personne de son fils, Dieu s’est offert lui-même à la mort. Dieu a fait en sorte que ce sang n’ait pas été répandu en vain, mais témoigne au contraire de son amour pour les hommes. Au cœur de sa souffrance, il a fait de ce sang injustement versé le lieu de sa réconciliation avec les hommes. Il a retourné l’horreur du crime en don d’amour. Désormais nous en avons fini avec les holocaustes. L’humanité est sur le chemin de la justice, de la paix et de l’amour, si elle le veut bien. Ce sang versé, et celui-ci seulement, sert au salut des hommes.

    Le Dieu unique de l’univers, par son sang versé, propose aux hommes d’en finir avec tout sang versé. Il propose d’en finir avec le sang versé des hommes que des haines primitives dressent les uns contre les autres. Il propose aussi d’en finir avec le sang versé des animaux sous forme de sacrifices. Quelle que soit la bonne foi et les bonnes intentions de ceux qui cherchent à lui plaire et à le rejoindre par ces sacrifices, ceux-ci ne servent à rien. Dieu n’a que faire des holocaustes. Il ne regarde que le cœur de ceux qui les font, et s’attriste de leur retard à trouver le chemin du Royaume débarrassé de toute violence et de tout sang versé, hors celui, réconciliateur, du Fils de l’Homme.

     

    Puisse le sang versé par les hommes se tarir au contact du sang versé par le fils de Dieu.

    Il suffit !


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  • Nos chefs d’Etat occidentaux se trouvent, depuis des mois, dans des situations qui ne leur font pas honneur. Il apparaît de plus en plus clairement que MM. Bush et Blair se sont engagés dans la guerre d’Irak en la justifiant par des arguments qui ne tiennent pas. Que savaient-ils réellement ? Est-il possible que leurs services de renseignement aient été si mal informés ? La guerre d’Irak a-t-elle été engagée sur un mensonge d’Etat délibéré ? Dans quel but ? M. Chirac, de son côté, ne sort pas indemne de la condamnation de M. Juppé, qui s’ajoute à d’autres instances en suspens contre lui. M. Aznar continue de faire l’éloge sans nuance de l’engagement américain en Irak et M. Berlusconi ne cesse de mêler politique et intérêts privés et se montre réticent à l’égard des règles communautaires.

    La lassitude des opinions publiques se fait sentir. Tous assistent impuissants à des débats sur lesquels ils n’ont qu’un droit de parole limité. Les chefs d’Etat ont en effet l’avantage de la stabilité. On ne peut pas les remercier du jour au lendemain, et c’est tant mieux pour la continuité de l’action gouvernementale. De plus, il n’est pas facile de changer un leader. Chacun finit même par se demander si celui qui serait mis à la place ne serait pas semblable au précédent. Enfin les uns et les autres représentent des forces politiques indispensables pour la bonne marche de la démocratie, les uns plutôt de droite, les autres plutôt de gauche. Cependant, de mensonge en affaires, le doute s’installe.

    La crédibilité des chefs d’Etat est entamée par la légèreté de leur comportement à l’égard des institutions publiques dont ils sont pourtant les garants. Cela passerait s’il ne s’agissait que d’un seul pays à un moment donné de son histoire. Cette situation devient inquiétante lorsqu’elle se retrouve simultanément dans les principaux pays démocratiques, ceux qui sont gérés par le peuple au cours d’élections libres. Le problème ne se limite plus à la crédibilité d’un homme ou même d’un Etat, il concerne la crédibilité d’un système politique, la démocratie. La situation risque d’être bloquée du fait que la majorité de ceux qui ont voté pour l’homme au pouvoir voudra le garder absolument, quoi qu’il ait fait, parce qu’il représente leur opinion, leur espérance. Ils ont mis leur foi en lui. Ces gens refuseront de voir, dans ce qu’il a fait, matière à le rejeter. Et, au moment des élections, devant les difficultés du choix, ou bien ses partisans voteront de nouveau pour lui, faute de trouver un autre candidat à leur goût ou bien iront grossir les rangs des abstentionnistes.

     

    La démocratie est le plus beau et le plus difficile des systèmes politiques parce qu’il demande des hommes et des femmes vertueux, du plus humble citoyen au chef d’Etat. La même règle de loyauté, de vérité et d’obéissance aux lois, s’applique à tous. Il est parfaitement admissible qu’un chef d’Etat se trompe dans ses choix, dans ses prévisions ou qu’il commette une faute civile. Tout chef d’Etat qu’il est, il demeure un homme faillible. Mais ses erreurs sont aggravées lorsque l’homme s’entête à se justifier contre tout bon sens. C’est alors que le système politique risque de se gripper et de s’orienter vers un pouvoir personnel sans autre référence que la personne du chef d’Etat.

    Le contexte mondial que nous connaissons aujourd’hui est difficile. Il serait dangereux de se laisser aller à agir contrairement aux principes de la vertu politique. Comment pouvons-nous proposer aux autres peuples un régime démocratique si nous-mêmes le mettons à mal ? Comment pouvons-nous coopérer les uns avec les autres si nous ne sommes pas de bonne foi et si nous ne parvenons pas à reconnaître nos erreurs ? Lorsque le terrorisme guette, il nous faut une solidarité et une confiance réciproques sans ombre si nous voulons sauvegarder notre idéal de liberté. Tout pays a besoin que ses responsables agissent dans la clarté, la vérité et la justice. Les citoyens, de leur côté, sont appelés, quelles que soient leurs opinions, à rester lucides et à ne pas soutenir l’insoutenable sous prétexte de défendre leur parti, qu’il soit de droite ou de gauche. Ils ont besoin d’acquérir une maturité politique afin de rester vigilants et de garder du recul s’ils sont partisans. N’est-il pas déjà arrivé de voir des menteurs, publiquement et juridiquement reconnus comme tels, être réélus ?

    La démocratie athénienne, souvenons-nous en, modèle et mère de toutes les démocraties, s’est effondrée par un manque de rectitude morale et à la suite de conquêtes mal menées. Nos régimes, il est vrai, paraissent solides en dépit des tempêtes qui les menacent. Mais qui sait ce qui pourrait se passer demain à la suite d’événements que nous ne pouvons pas prévoir ? L’opinion publique peut être rapidement modelée par paresse ou démission collective et grâce à des manipulations. L’exemple de la conquête du pouvoir par les nazis en est l’illustration. Tout homme est malléable.

     

    Exigeons de nos responsables politiques les vertus politiques liées à leur charge.


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  • La peur est un terrain fertile sur lequel développer toutes sortes d’actions psychologiques. Elle est en effet présente dans de nombreuses situations de la vie. Peur des coups, de l’échec et de l’aventure, peur des maladies et des épidémies, mais aussi peur des divinités et même peur de Dieu. La peur fait percevoir le danger comme proche et immédiat. La peur s’installe. Chacun cherche à se protéger de la menace prochaine autant qu’il le peut dans l’espoir de  lui échapper. Mais il arrive que la peur dégénère en panique, nous paralyse et nous fasse perdre nos moyens. Nous devenons alors la proie facile de ceux qui exploitent la peur pour parvenir à leurs fins et réduire les autres à leur merci.

    La peur peut être un moyen de chantage. Ainsi en va-t-il avec un mouvement à consonance religieuse comme Al Qaïda, qui laisse planer la menace d’une puissance diabolique pour dissuader quiconque de lui résister et invite à se soumettre à son idéologie. D’autres, à l’inverse, en profitent pour jouer aux protecteurs, devenir les maîtres de la situation, même au détriment de ceux qu’ils prétendent protéger. Ainsi en va-t-il de la peur que suscitent certains mouvements politiques violents qui perçoivent des impôts révolutionnaires ou patriotiques. La peur fait taire les récalcitrants.

    L’État lui aussi peut utiliser la peur pour faire régner l’ordre. La peur du gendarme contribue ainsi de façon positive au respect des règles sociales et à la paix civile. Mais les hommes au pouvoir peuvent aussi capter à leur bénéfice la peur que suscitent les inévitables désordres sociaux pour édicter des lois coercitives qui réduisent les citoyens à se jeter dans les bras des gouvernants du moment, quitte à y perdre leur liberté. La peur devient un argument dans la conquête du pouvoir.

     

    Ce monde est le nôtre. De toutes parts la peur gagne du terrain. À l’échelle planétaire le terrorisme s’infiltre en de nombreux points du globe, alimenté par les frustrations centenaires des uns, les déséquilibres du développement de la planète, et le désir hégémonique des autres. Le 11 septembre en est l’illustration la plus frappante. Mais la violence ordinaire se répand elle aussi à grande vitesse et chacun cherche à lui échapper. On s’entoure de murs de clôture et de palissades, on multiplie les serrures de sécurité et les alarmes. On est prêt à limiter sa liberté pour espérer vivre en paix.

    Une loi sur la grande criminalité vient d’être adoptée par l’Assemblée dans ce contexte. Elle vise à assurer la sécurité de la population. Pour atteindre cette fin, notre justice change complètement de visage et se rapproche d’une justice à l’américaine dont il n’est pas sûr qu’elle soit supérieure à celle que nous avions hier encore. La présomption d’innocence n’est plus qu’un mot et le suspect est immédiatement livré aux mains de la police, sans moyens réels pour se défendre. Les jugements publics tels que nous les connaissions deviendront rares. Une reconnaissance de culpabilité pourra suffire à régler le problème. Cette loi aura sans doute des effets bénéfiques tels qu’une plus grande rapidité de la justice, mais cela risque de se faire au détriment des droits de la défense.

    S’il ne s’agissait effectivement que de grande criminalité, donc d’une situation extrême qui nécessiterait des mesures particulières et exceptionnelles, cela pourrait se comprendre. Mais cette loi ne donne pas de définition de la grande criminalité. Elle risque donc de s’appliquer à toute forme de criminalité, y compris la plus ordinaire. Le débat sera réduit à presque rien et le rôle des magistrats et des avocats sera lui aussi limité. Les délinquants sexuels quant à eux, déjà lourdement pénalisés, seront encore un peu plus stigmatisés avec la constitution d’un fichier national.

     

    La peur, sous toutes ses formes, règne en maîtresse dans nos sociétés. Les politiques l’ont compris et en font un argument pour se faire élire et se maintenir au pouvoir. S’appuyant sur une peur diffuse ils engagent des actions policières ou militaires et font des réformes sécuritaires qui emportent l’adhésion de la population. Celle-ci y voit un moyen d’en finir avec la délinquance ordinaire et de juguler le terrorisme international. Elle a tellement besoin d’être rassurée qu’elle ne veut pas voir les arrière-plans éthiques et les arrière-pensées politiques liées à ce type de programme.

    La peur naturelle des gens deviendrait-elle un argument pour réussir en politique ? S’il en est ainsi, ne court-on pas le risque de réduire les droits de la personne humaine et de faire reculer la liberté à laquelle chacun a droit ? Une politique musclée, apparemment rassurante, est-elle, en ce siècle trouble, la panacée pour plaire au peuple ? Ce serait inquiétant pour l’avenir de la démocratie. Ne faudrait-il pas d’abord remédier aux causes sociales et culturelles qui engendrent la délinquance et le terrorisme international ? La sécurité ne sera jamais atteinte si nous nous contentons de réprimer, sans chercher à guérir les maux dont souffrent nos sociétés.

     

    Pour vivre sans peur, établissons la justice.


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