• Hommage de Frère Rémy au Frère André

    Hommage au fr.André LENDGER, Cathédrale de St Denis, le 20-4-2005. 

    Chers amis, je voudrais vous transmettre quelques traits de la riche personnalité de notre frère
    André, traits qui sont, je le crois, passés en Dieu depuis vendredi. Cela complètera les très
    beaux témoignages donnés à l'occasion de son départ le 2 Octobre dernier; 3 traits de
    sainteté : un artiste de la prédication, un frère de miséricorde, un chercheur écorché du Dieu vivant.

    1.Un artiste de la prédication: il l'a expérimentée sous bien des formes. L'homélie du
    dimanche, qu'il préparait avec soin, qu'il écrivait toujours au dernier moment, le
    vendredi soir, dans l'urgence, sous la pression. Une prédication qui plongeait aux
    racines bibliques, à la source de la Parole me, l'Écriture sainte, son grand amour. Sur
    ce point, les réunionnais se souviennent et se souviendront d'un authentique frère
    prêcheur. Et puis, il y avait les Éléments de réflexion (ou les Dominicales d'un
    dominicain) : un exercice plus ardu, plus exigeant. Il y investissait tout son vendredi:
    dès 8h, il entrait dans cette retraite radicale -il n'en sortait que pour acheter le pain-,il
    s'attaquait à une question liée souvent à l'actualité: il l'affrontait, il s'y coltinait, la
    creusait et cela nous a valu des textes forts. Il aura poursuivi cette activité 19 ans
    durant. Enfin, il y avait l'écriture proprement dite, de vrais livres: « Les coulisses de
    Dieu» sur son apostolat d'Aumônier des artistes, « Cloître des sans visage» sur son
    job de gérant de bar, une pièce de théâtre, « l'Art de prêcher» et il avait commencé un
    roman très original. Un homme de culture, de grande curiosité, qui s'astreignait
    chaque matin à la lecture (avec le Monde en fin de journée) : en accompagnant
    Humanisme et Progrès, il s'était initié à l'économie; pour enseigner. aux séminaristes
    malgaches, il avait entrepris un recyclage à l'École Biblique. C'était, en vérité,
    l'intellectuel de notre communauté.

    2.Un frère habité par la miséricorde. En avançant dans l'existence, fr.André s'est
    polarisé sur les plus démunis et les plus pauvres et son projet de présence à
    Madagascar allait dans ce sens. Comme beaucoup de frères, il a eu plusieurs métiers
    dans son parcours dominicain. Il a commencé avec les étudiants scientifiques de
    Toulouse; et puis il est monté à la capitale pour être aumônier national des artistes:
    un poste prestigieux et difficile à la fois avec ses lumières et ses ombres, ses joies et
    ses peines, baptiser Robert Hossein, enterrer Claude François ... Il a évoqué ces
    grandes rencontres dans son livre, mais il en parlait peu et restait discret, secret sur
    cette période, alors même qu'il continuait d'entretenir des relations avec les uns et les
    autres et qu'il recevait la Revue 'les 4 saisons'. Ensuite, il va devenir gérant d'un bar
    en plein Quartier latin, bar accueillant une population noire, africaine. C'est là que je
    l'ai connu il y a 24 ans en Août 1981 sur le coup d'Th du matin: il était flanqué d'un
    autre dominicain, éducateur et d'un videur professionnel. J'étais religieux depuis 2 ans
    et cette rencontre m'a durablement marqué.

    A cette époque-là déjà, il a côtoyé le monde de l'alcool, de la violence, de la drogue,
    de la misère sous toutes ses formes. Et il assumait, totalement. Mais la grande plongée, il la

    . fera ici à la Réunion, dans l'univers des prisons: c'était une préoccupation permanente, qu'il
    nous partageait souvent. Toutes les 'personnes détenues qui l'ont croisé peuvent témoigner
    qu'il passait en faisant le bien, parce que son cœur était plein de miséricorde; il l'a exercée
    aussi avec les personnes malades du SIDA et les jeunes mères d'AMARE.

    3. Un chercheur écorché du Dieu vivant.

    Quand nous parlions de la question de Dieu ou de morale, il me rudoyait avec un brin de
    tendresse: « Toi, tu affirmes, moi je questionne ». Dans son rapport à l'Eglise, il s'affirmait
    parfois plus protestant que catholique et pourtant, il célébrait l'Eucharistie avec une dignité,
    une sobriété, un effacement total devant le Mystère: c'était l'un de ses paradoxes. Fr.André
    était un homme très sensible, délicat, pudique, timide parfois: c'était sans doute une manière
    de préserver, de protéger sa quête douloureuse et complexe de Dieu (« Je suis toujours en
    bataille avec Dieu »). A la fin de sa dernière Lettre aux amis, datée de Pâques, il écrit: »I1 me
    manquera d'avoir rencontré Celui que j'étais venu chercher. Peut-être l'ai-je un peu mieux
    approché. Faudra-t-il attendre la mort pour savoir?» Propos prémonitoires: il voulait finir sa
    vie à Tana; de fait, le Christ Ressuscité l'attendait à Jérusalem pour l'introduire au lieu de son
    repos. Dans 'Eglise à la Réunion' de Novembre, fr.André écrivait encore: «Nous avons
    souvent du mal à nous situer dans l'âge ». J'oserai dire qu'André était resté un grand enfant
    avec ses réactions naïves, spontanées qui laissaient entrevoir cependant une vie intérieure
    adulte, profonde. Autre paradoxe ... C'est tout cela et d'autres choses encore qu'il nous laisse
    en héritage, c'est de cela dont nous voulions témoigner en ce jour, dans une joyeuse action de
    grâces au Seigneur pour son serviteur André, notre ami, notre frère, un homme libre. AMEN.

    Fr.Rémy BERGERET