• 15 février 2004 La peur comme argument politique.

    La peur est un terrain fertile sur lequel développer toutes sortes d’actions psychologiques. Elle est en effet présente dans de nombreuses situations de la vie. Peur des coups, de l’échec et de l’aventure, peur des maladies et des épidémies, mais aussi peur des divinités et même peur de Dieu. La peur fait percevoir le danger comme proche et immédiat. La peur s’installe. Chacun cherche à se protéger de la menace prochaine autant qu’il le peut dans l’espoir de  lui échapper. Mais il arrive que la peur dégénère en panique, nous paralyse et nous fasse perdre nos moyens. Nous devenons alors la proie facile de ceux qui exploitent la peur pour parvenir à leurs fins et réduire les autres à leur merci.

    La peur peut être un moyen de chantage. Ainsi en va-t-il avec un mouvement à consonance religieuse comme Al Qaïda, qui laisse planer la menace d’une puissance diabolique pour dissuader quiconque de lui résister et invite à se soumettre à son idéologie. D’autres, à l’inverse, en profitent pour jouer aux protecteurs, devenir les maîtres de la situation, même au détriment de ceux qu’ils prétendent protéger. Ainsi en va-t-il de la peur que suscitent certains mouvements politiques violents qui perçoivent des impôts révolutionnaires ou patriotiques. La peur fait taire les récalcitrants.

    L’État lui aussi peut utiliser la peur pour faire régner l’ordre. La peur du gendarme contribue ainsi de façon positive au respect des règles sociales et à la paix civile. Mais les hommes au pouvoir peuvent aussi capter à leur bénéfice la peur que suscitent les inévitables désordres sociaux pour édicter des lois coercitives qui réduisent les citoyens à se jeter dans les bras des gouvernants du moment, quitte à y perdre leur liberté. La peur devient un argument dans la conquête du pouvoir.

     

    Ce monde est le nôtre. De toutes parts la peur gagne du terrain. À l’échelle planétaire le terrorisme s’infiltre en de nombreux points du globe, alimenté par les frustrations centenaires des uns, les déséquilibres du développement de la planète, et le désir hégémonique des autres. Le 11 septembre en est l’illustration la plus frappante. Mais la violence ordinaire se répand elle aussi à grande vitesse et chacun cherche à lui échapper. On s’entoure de murs de clôture et de palissades, on multiplie les serrures de sécurité et les alarmes. On est prêt à limiter sa liberté pour espérer vivre en paix.

    Une loi sur la grande criminalité vient d’être adoptée par l’Assemblée dans ce contexte. Elle vise à assurer la sécurité de la population. Pour atteindre cette fin, notre justice change complètement de visage et se rapproche d’une justice à l’américaine dont il n’est pas sûr qu’elle soit supérieure à celle que nous avions hier encore. La présomption d’innocence n’est plus qu’un mot et le suspect est immédiatement livré aux mains de la police, sans moyens réels pour se défendre. Les jugements publics tels que nous les connaissions deviendront rares. Une reconnaissance de culpabilité pourra suffire à régler le problème. Cette loi aura sans doute des effets bénéfiques tels qu’une plus grande rapidité de la justice, mais cela risque de se faire au détriment des droits de la défense.

    S’il ne s’agissait effectivement que de grande criminalité, donc d’une situation extrême qui nécessiterait des mesures particulières et exceptionnelles, cela pourrait se comprendre. Mais cette loi ne donne pas de définition de la grande criminalité. Elle risque donc de s’appliquer à toute forme de criminalité, y compris la plus ordinaire. Le débat sera réduit à presque rien et le rôle des magistrats et des avocats sera lui aussi limité. Les délinquants sexuels quant à eux, déjà lourdement pénalisés, seront encore un peu plus stigmatisés avec la constitution d’un fichier national.

     

    La peur, sous toutes ses formes, règne en maîtresse dans nos sociétés. Les politiques l’ont compris et en font un argument pour se faire élire et se maintenir au pouvoir. S’appuyant sur une peur diffuse ils engagent des actions policières ou militaires et font des réformes sécuritaires qui emportent l’adhésion de la population. Celle-ci y voit un moyen d’en finir avec la délinquance ordinaire et de juguler le terrorisme international. Elle a tellement besoin d’être rassurée qu’elle ne veut pas voir les arrière-plans éthiques et les arrière-pensées politiques liées à ce type de programme.

    La peur naturelle des gens deviendrait-elle un argument pour réussir en politique ? S’il en est ainsi, ne court-on pas le risque de réduire les droits de la personne humaine et de faire reculer la liberté à laquelle chacun a droit ? Une politique musclée, apparemment rassurante, est-elle, en ce siècle trouble, la panacée pour plaire au peuple ? Ce serait inquiétant pour l’avenir de la démocratie. Ne faudrait-il pas d’abord remédier aux causes sociales et culturelles qui engendrent la délinquance et le terrorisme international ? La sécurité ne sera jamais atteinte si nous nous contentons de réprimer, sans chercher à guérir les maux dont souffrent nos sociétés.

     

    Pour vivre sans peur, établissons la justice.

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