• 4 janvier 2004 Justice et paix.

    Chaque année nous nous livrons au jeu des voeux de Nouvel An. Chaque année le pape et bien d’autres demandent la venue d’un monde de paix. Chaque année la violence et les guerres endeuillent un peu plus le monde. Chaque année de nouveaux conflits fragilisent l’équilibre d’une région puis de la planète entière. Chacun de nos gestes, paroles, écrits, goûts, émotions les plus intimes… est soumis à l’analyse de forces de sécurité censées protéger nos libertés. La psychose de l’attentat terroriste nous jette dans les bras de prétendus sauveurs qui prennent le pouvoir sur nous.

    Les vœux de paix risquent de demeurer lettre morte tant qu’ils ne sont pas accompagnés par l’engagement de chaque partie à faire son propre examen de conscience. À se contenter de dénoncer un axe du mal, on oublie que le mal réside aussi en soi, qu’il a sa racine chez soi comme chez l’autre. À diviser arbitrairement le monde en deux, chaque protagoniste se croit le détenteur de la vérité et de la justice et s’estime justifié de vouloir imposer à l’autre sa culture, sa religion, sa puissance.

    Sous prétexte d’établir la paix on déclare des guerres préventives, on construit des murs, on prend en otage des populations entières, on embastille sans s’occuper des Droits de l’Homme, on se met à l’abri d’une justice internationale en soudoyant des peuples pauvres, on établit l’ordre mondial à sa convenance. La notion de justice est vidée de sa substance, la justice s’identifiant dès lors avec le profit que le vainqueur tire sans vergogne de sa supériorité.

     

    Pas de paix sans justice, qu’il s’agisse de la justice ordinaire qui met les délinquants en prison, de la justice sociale entre les ayant droit d’une société, ou de la justice internationale. La justice ne peut pas être arbitraire ni soumise aux pressions de quelques-uns. Elle doit être indépendante des intérêts des uns et des autres. Elle doit trouver sa source dans des concertations, des compromis, des prises de conscience communes. Le résultat sera imparfait, mais il constituera une étape. La justice existe-t-elle à l’état pur ? Est-elle autre chose qu’une voie, un chemin difficile ?

    La justice est la pierre d’angle de la paix. C’est parce que la justice est bafouée, parce que certains se sont emparés des centres de décision et de pouvoir, en excluant les autres, que la paix est difficile. Comment un peuple, une classe sociale, une personne peuvent-ils accepter la paix qu’on leur propose quand ils se rendent compte qu’elle ne fait que légitimer leur marginalisation ? Les exemples internationaux et sociaux abondent de ces fausses paix, sources de nouveaux conflits. La vraie justice n’humilie ni ne lèse personne. Elle cherche à rendre à chacun son dû et à instaurer la paix.

    La justice ne tombe pas du ciel des puissants. Elle est la même pour tous parce qu’elle représente une valeur universelle, une valeur qui reconnaît à chaque personne et à chaque groupe humain un égal droit à vivre et à s’exprimer, mais aussi à être respecté dans sa dignité et son honneur. À cette condition peut-être parviendra-t-elle à faire sortir nos sociétés des contradictions dans lesquelles elles s’enchaînent, qui font le lit de nouvelles violences. Le perdant ne doit pas se sentir humilié et le gagnant ne doit pas devenir arrogant. La justice doit faire en sorte que tout le monde puisse vivre et travailler ensemble pour consolider la paix entre les personnes et les groupes humains.

     

    Rendre la justice ne suffit pas. Il ne suffit pas, pour établir et consolider la paix, de faire de justes déclarations ou de prendre de justes décisions. La paix n’est pas établie parce qu’une justice équitable a été rendue. Elle ne l’est que dans la mesure où les parties en question vivent de la justice, y adhérent du fond de leur intelligence et de leur cœur et la mettent en œuvre. Il ne suffit pas de signer de bons documents, encore faut-il les rendre opérationnels et leur permettre de faire leur travail de paix. La justice ne devient productrice de paix que le jour où les parties s’approprient, font leur la décision censée sinon les réconcilier, du moins les mettre sur le chemin d’une coopération à venir.

    L’intériorisation est une étape indispensable au succès de la justice pour la paix. Même si des griefs ou des réticences demeurent, chacun doit se donner la peine de faire réussir la décision prise sans esprit de revanche et sans soupçonner l’autre d’idées machiavéliques. On ne peut pas réussir cette intériorisation sans accepter de perdre du désir hégémonique présent en chacune des parties.

    Comment réussir ce travail intérieur si on ne voit pas la valeur de ce qui est en jeu ? Tout dépend de la prise au sérieux de nos actes. La justice et la paix passent par la médiation de nos actes. Nous ne pouvons pas entrer en paix internationale, sociale, interpersonnelle ou même strictement personnelle sans nous engager à devenir actifs, sans nous mettre courageusement à la tâche.

     

    2004, année de la paix dans la justice et de la justice dans la paix ?

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