• Lorsque Jésus meurt, les disciples se dispersent, dans la crainte de subir le sort de leur maître. Ils se terrent au moins le temps du sabbat et de la découverte du tombeau vide. Mais que signifie un tombeau vide ? C’est un signe, ce n’est pas une preuve. Des anges disent qu’il est ressuscité, mais ils ne le donnent pas à voir. Il se manifeste à Marie-Madeleine dans le jardin du tombeau, à Cléophas et à son compagnon sur le chemin d’Emmaüs, à Pierre et aux onze en l’absence de Thomas puis en sa présence. Malgré tous ces signes, les disciples se taisent

    On peut imaginer qu’ils se taisent parce qu’ils ont peur pour leur vie. Les textes le laissent entendre. Jésus ne leur a-t-il pas fait comprendre qu’ils seraient invités à subir le même sort que lui, à boire son calice jusqu’au bout ? Mais eux n’ont pas le même courage que leur maître. Ils n’ont pas, il est vrai, les mêmes raisons que lui de s’engager dans une mort dont ils sont loin de percevoir la signification.  Ce ne sont pas des exaltés et ils ne voient pas la raison d’éventer un événement qui leur causerait trop d’ennuis. Cependant ce n’est pas une explication suffisante à leur silence.

    On peut penser aussi que ces hommes, dont la plupart semblent avoir eu les pieds solidement plantés sur la terre, se sont retrouvés en proie à un grand chaos spirituel et sensible après l’irruption du surnaturel au cœur de l’événement dramatique. Comment ces hommes, concrets et charnels, ont-ils perçu le fait que leur maître, dont ils avaient partagé l’existence terrestre pendant des mois, se manifestait maintenant de façon insaisissable ? Comment ont-ils réagi aux apparitions de Jésus alors qu’ils n’étaient pas encore remis de sa mort ? Qu’étaient ces apparitions ? 

     

    Les anges avaient dit aux femmes que Jésus précéderait ses disciples en Galilée. Selon toute vraisemblance les disciples, emmurés dans leur peur, ont pris le chemin de la Galilée, loin des fureurs et de la tension de Jérusalem. Là, ils ont pu accomplir ce qu’on appelle leur deuil. Ils ont eu le temps de se remettre de leurs peurs, d’assimiler l’événement de la résurrection et d’accueillir sans crainte les apparitions. Ils n’ont pu faire ce travail qu’en entrant dans la foi, car aucune apparition n’est une preuve à elle seule. Le surnaturel ne peut pas trouver d’ancrage satisfaisant dans le sensible.

    Sauf, peut-être, si l’on se laisse éclairer par l’amitié d’un Dieu qui aide à comprendre, par la mort de son Fils, son alliance indéfectible avec l’homme. Sauf si l’on comprend qu’on n’invoque pas Dieu pour se consoler dans ses épreuves et ses difficultés personnelles, mais parce que son alliance avec nous est une force pour libérer l’humanité des puissances de mort qui sont à l’œuvre en elle. Sauf si l’on accepte que les signes que Dieu envoie ne peuvent être compris que dans la foi.

    Mais tout signe reste un signe et, soumis à l’analyse, est porteur de doute et d’interrogation. Telle fut la situation des disciples de Jésus, tel fut le difficile chemin qu’ils ont dû parcourir avant de parvenir à l’affirmation que Jésus était bien ressuscité, qu’il ne l’était pas pour leur consolation personnelle et que sa mort et sa résurrection accomplissaient les Ecritures de façon surprenante. L’événement-signe qu’est la résurrection avait donc valeur pour tout Israël d’abord, puis pour tous les peuples de la terre, dès lors qu’on se laissait pénétrer par l’amitié de Dieu dans la foi.

     

    Il a fallu du temps aux disciples de Jésus pour faire leur travail intérieur et avoir le courage, le jour de la Pentecôte, de prendre tous les risques en proclamant ce qui s’était passé. Ce risque existait bel et bien encore puisqu’ils ont été rapidement inquiétés par les autorités et incarcérés avant d’être, des années plus tard, conduits au martyre. Nous, chrétiens du 21ème siècle, avons parfois la tentation d’enjamber cette longue recherche et de nous contenter d’un peu de sentimentalité. Nous sommes tentés de prendre les signes pour des preuves et de nous rassurer à bon compte.

    Nous devons comprendre, en notre siècle où les conflits religieux s’enveniment, que le Dieu auquel nous croyons ne s’impose pas mais se propose seulement. Il ne se révèle qu’à travers des signes qui ne prennent sens qu’après inventaire. Il ne vient pas nous rassurer dans nos tourments mais nous éveiller à la tâche d’humanisation sans laquelle l’humanité croulera. Jésus n’est pas mort sur la Croix pour que nous ronronnions satisfaits mais pour susciter en nous le courage de sauver le monde.

    Les générations précédentes nous ont laissé maints exemples d’initiatives pour pallier les défauts des sociétés antérieures. Alors que la foi s’efface de la conscience contemporaine, il est nécessaire que ceux qui se prévalent encore de cette foi prennent à cœur le destin de tant d’hommes et de femmes broyés dans les guerres, réduits à la misère et soumis à la violence de lois économiques qui ne tiennent pas compte des plus faibles. Cela ne peut se réaliser que si notre prière, et donc notre foi, font de nous des acteurs de la vie sociale et politique. Pourquoi demeurons-nous stériles aujourd’hui ?

     

    Apôtres contemporains, soyons conséquents avec celui en qui nous croyons.


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  • Les Etats ont des frontières fixes. C’est un dogme de nos sociétés contemporaines auquel il n’apparaît pas souhaitable de toucher sous peine d’un déséquilibre majeur dans toute une région, même lorsque ces frontières sont le fruit de l’arbitraire colonial. L’annexion du Koweit par l’Irak montre les dangers de toute tentative de remodelage. En Afrique des ethnies se trouvent ainsi scindées entre plusieurs États et leurs membres sont invités à se doter d’un esprit patriotique distinct de leur solidarité ethnique. Le temps permettra-t-il d’aplanir les difficultés que cela peut engendrer ?

    Les religions semblent, elles aussi, liées aux frontières d’un Etat ou d’un continent. Apparemment rien n’est plus naturel puisque chacun d’entre nous a la religion que lui ont donnée ses parents, lesquels l’ont eux-mêmes reçue par héritage en raison, le plus souvent, de la tradition locale. On aurait pu penser que les choses allaient évoluer avec les grandes migrations contemporaines. On aurait pu imaginer que la confrontation des religions allait favoriser des rencontres et des échanges à la recherche de la vérité. Il serait faux de dire qu’il n’y en a pas eu. Mais globalement rien n’a bougé, même s’il y a des transfuges dans un sens ou dans l’autre.

    Cette stabilité des frontières religieuses vient doubler les frontières nationales et ethniques, ce qui ne présage rien de bon ni pour la paix entre nations ni pour la connaissance de la personne de Dieu. Chacun se méfie de l’autre et campe sur ses positions, la religion étant le lieu des affirmations les plus catégoriques parce que les moins rationnelles, les moins démontrables et pourtant les plus absolues puisque liées à la personne souveraine de Dieu qui n’a que nous pour le défendre.

     

    La foi personnelle n’a pas toujours grand-chose à voir avec une conviction religieuse bien enracinée à la suite d’un choix. Si la religion a permis, dans le passé, l’édification de cultures, de civilisations et d’empires magnifiques, si elle a permis le développement des sciences et de la pensée, si elle a engendré de nombreux conflits mais aussi des dialogues fructueux, elle s’est durcie aujourd’hui au point de devenir un lieu majeur de blocage. Chacun se croit chargé de défendre l’honneur de Dieu. Mais à en croire ses thuriféraires, l’honneur de Dieu passe plus souvent par des slogans et des rigidités doctrinales que par un message de tolérance et de paix.

    Or si Dieu est vraiment l’UNIQUE pour tout l’univers – et on ne voit pas qu’il puisse en aller autrement – il ne peut qu’accepter que les hommes, lorsqu’ils parlent de lui, le fassent de diverses façons, chacun selon sa culture et sa tradition. Et puisque nous sommes tous ses enfants il ne peut que désirer que nous vivions en paix les uns avec les autres, animés par une commune recherche de lui. Au lieu de cela les religions s’opposent avec, le plus souvent, un manque affligeant d’arguments qui aboutit à des guerres ou fait régresser dans des cultes païens d’un autre âge.

    Les hommes sont si aveugles qu’ils finissent pas identifier vérité divine, race et frontière nationale. On est chrétien, musulman, bouddhiste, tamoul… non pas selon un critère de vérité religieuse mais par solidarité raciale ou nationale… Les religions, au lieu de rapprocher les hommes, durcissent les différences entre populations. Les fidèles ont la religion de leur race ou de leur tribu. Celui qui est de telle race doit avoir telle religion. Et ceux qui n’ont pas la religion de la majorité n’ont plus qu’à fuir. C’est ainsi que la Turquie ou l’Egypte se sont vidées de leurs chrétiens et que des communautés chrétiennes, en Inde ou dans des pays musulmans, sont persécutées…

     

    Pourtant le vieil occident chrétien, avec ses dogmes, est en train d’accueillir des religions nouvelles : religions orientales, Islam… non seulement par l’arrivée de populations étrangères, mais aussi par la conversion de jeunes occidentaux, donnant l’exemple d’une mise à distance de la religion et des origines ethniques et culturelles. Le christianisme, si longtemps rigide et colonialiste, est aujourd’hui accessible à tout échange et à toute recherche. Les États laïques qui ont hérité de sa tradition millénaire ne mettent aucun interdit au libre choix religieux de leurs citoyens.

    Il est d’autant plus troublant de voir que, dans ces mêmes pays de liberté, des hommes et des femmes venant d’autres religions et races, après un temps d’adaptation à la culture européenne voire à la religion chrétienne, décident de retourner dans la religion de leurs ancêtres, non pour y mieux découvrir Dieu, mais par souci d’appartenance à une communauté de chair et de sang.

    Si chacun va vers des dieux à la couleur de son peuple, préférant cultiver ce qui divise au lieu d’approfondir ce qui unifie, comment espérer qu’il sera possible de constituer une humanité fraternelle dans laquelle la diversité des races, des couleurs et des opinions n’empêchera pas la quête de l’unique Dieu créateur, principe d’une humanité réconciliée dans ses différences ?

     

    Seule la recherche du Dieu unique peut être source d’unité de l’humanité.


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  • Jésus reste un personnage d’actualité. Depuis quelques mois la presse hebdomadaire ou mensuelle ne cesse de proposer des numéros sur Jésus. Cela donne à penser que Jésus intéresse les lecteurs, se vend bien et fait bien vendre la presse. Il s’agit du Jésus de l’histoire, de l’homme qui a vécu il y a vingt siècles, dont le message constitue une nouveauté qui, aujourd’hui encore, attise la curiosité. Il a été rejeté par les chefs de son peuple, il a été crucifié et ses disciples ont dit qu’il était ressuscité. Mais de cela les journalistes ne peuvent faire état, faute de preuve concrète.

    Jésus a vraiment vécu, même si les traces que nous avons de son rapide passage parmi les hommes, au temps de sa prédication, demeurent ténues. Dire le contraire n’est pas sérieux. Il se situe dans la lignée des grands prophètes d’Israël et dans la foulée immédiate de Jean-Baptiste. Nous pouvons percevoir les rapports de sa pensée avec celle des écoles rabbiniques de son temps. Jésus s’en démarque toutefois par un message original qui le conduira à la mort.

    Le message de Jésus est ce qui séduit le plus nos contemporains, car il fait partie de notre culture et est à la base de notre vision de l’homme. C’est un message d’amour qui met l’autre, en tant qu’autre, au centre de toute vie humaine. C’est un message de justice qui met le pauvre au cœur de tout dispositif social. C’est un message de paix qui laisse à l’argent sa place dans la vie économique mais qui lui refuse le droit de régner en maître dans le cœur des hommes, sous peine de violence.

     

    L’intérêt actuel porté à la personne de Jésus trouve là sa source. L’homme moderne est intrigué par le mystère de ce prophète, mais évite de l’approfondir. Cela suffit à notre société laïque dont la recherche de salut est fort éloignée de ce qu’elle pouvait être il y a quelques siècles. La mort personnelle n’est plus l’inquiétude majeure et la vision de l’enfer n’est plus l’épouvantail qui pourrait nous faire changer de conduite. Si l’homme se préoccupe de salut, ce n’est pas de celui, personnel, qui l’attendrait dans un autre monde, bien incertain à ses yeux. Il s’angoisse plutôt pour le salut de l’humanité entière prise au piège de l’accumulation des richesses et du développement sans discernement des progrès techniques, au risque de rendre la terre inhabitable, jusqu’à l’autodestruction

    Qu’a le Jésus des icônes qui ornent la première page de nos journaux à nous dire à ce sujet ? Est-il vrai que le salut de l’humanité puisse être disjoint de la recherche de salut de chaque personne individuelle ? Les dangers qui menacent notre planète ont pour cause première l’incapacité des hommes à vivre personnellement les valeurs qui sont au cœur de l’évangile, amour, justice et paix. Lorsque l’idéal poursuivi est que chacun impose sa puissance ou son plaisir au détriment des autres ; lorsque les lois économiques oublient que nous sommes tous au service les uns des autres et les riches au service des pauvres pour partager le travail et l’emploi, c’est l’éthique personnelle qu’on piétine, c’est l’équilibre social et les valeurs universelles qu’on bafoue.

    L’intérêt porté à la personne de Jésus est aujourd’hui du même ordre que celui qu’on porte au Dalaï-lama. Quelques-uns suivent, mais la majorité admire tout en gardant sa distance. On reconnaît à ces hommes le mérite de rappeler des dimensions essentielles de notre être mais on n’a aucune volonté pour suivre le chemin qu’ils proposent. On en reste le plus souvent à une curiosité polie. La recherche de la vérité n’est pas notre préoccupation. Notre être intérieur n’est pas transformé et nous continuons d’amasser argent et pouvoir ou de mener une vie superficielle de loisirs faciles.

     

    La multiplication des publications sur Jésus ne doit pas faire illusion. La curiosité dont la presse se fait l’écho ne prélude certainement pas à un réel désir de remonter à la source du message de l’évangile. L’intérêt ne va pas jusqu’à admettre que ce qui intéresse dans la personne de Jésus ne peut être reçu qu’en s’en faisant un disciple. Autre est la connaissance rationnelle, autre la connaissance qui vient de l’amitié. Avec Jésus l’amitié est liée à la foi. Faute de foi, on reste spectateur ou auditeur, mais on ne met pas en pratique. Or la foi chrétienne n’est pas une morale mais un amour.

    Aujourd’hui l’engagement dans une quête de sens de la vie de l’homme, n’est plus ressenti comme une urgence, sauf pour les spiritualités à la mode, orientalisme, extatisme ou superstitions. Mais est-ce une quête de sens ou une fuite devant l’absurde ? L’essentiel est de ressentir, pour se rassurer dans un monde incertain. Or la foi en Jésus n’est pas du domaine de la sensibilité, même si elle entretient un rapport avec elle. Les émotions ou l’esthétique ne sont pas assimilables à la foi.

    Il est réconfortant malgré tout de voir que nos contemporains continuent de s’interroger, peut-être paresseusement, sans conviction et seulement du bout des doigts de l’esprit. Cette curiosité est le signe qu’est ressentie l’insuffisance de ce monde en dépit de toutes ses prouesses.

     

    Jésus demeure une grande figure, reste à découvrir qu’il est VIVANT.


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  • Le mot vocation est généralement utilisé pour exprimer le désir d’entrer dans des professions qui exigent un don de soi et un amour des autres (médecine, travail humanitaire…) ou qui impliquent la quête d’un dépassement de soi et d’une compréhension du monde (recherche, philosophie…). Pour d’autres professions, comme les professions artistiques qui demandent également un don total de soi, on parlera plutôt de passion, en raison de l’importance de l’engagement affectif qu’elles requièrent. Un peu comme on parlera de passion pour l’alpinisme, le football…

    Mais l’usage du mot vocation a été de plus en plus restreint à l’appel ressenti pour une vie consacrée à Dieu (prêtre, religieux, religieuses). On parlera d’ailleurs, pour la désigner, de la vocation, comme si toutes les autres vocations trouvaient en celle-ci leur modèle et leur total accomplissement. Et pour que l’engagement de soi à Dieu soit total, on ajoute que lui est obligatoirement associée la vocation au célibat. On aura beau parler ensuite de vocation au mariage, cela fait un peu dévalorisé.

    « J’ai la vocation », entendons-nous dire parfois. Cette façon de parler ne renferme-t-elle pas un piège ? Elle fait appel à la seule subjectivité. Certes Dieu ne peut s’adresser à nous que par la médiation de la sensibilité, mais tout ce qui relève du domaine de la sensibilité demande à être soumis à critique. Notre sensibilité est trompeuse, surtout lorsqu’il s’agit de notre rapport à Dieu, invérifiable a priori. Ce que nous ressentons demande à être interprété, mais ce n’est pas à celui qui ressent de se livrer à l’interprétation de ce qu’il ressent. Il lui faut partager le ressenti avec d’autres.

     

    Il n’est pas sérieux de parler de la vocation en abordant le sujet par le seul côté subjectif. Le mot vocation vient d’un verbe latin qui signifie action d’appeler. La vocation est la réponse à un appel qui suscite un attrait. Mais qui appelle ? Pour un croyant, la réponse est Dieu. Or Dieu appelle chaque être humain. Il ne laisse personne en dehors de son amour. L’appel de Dieu est universel. Tout  homme est appelé à une même et unique vocation, rencontrer Dieu, l’aimer et aimer son prochain, peu importe la vie qu’on choisit de mener et la profession qu’on se propose d’embrasser.

     Il n’est pas a priori de genre de vie supérieur à un autre. Il y a des fonctions différentes qui permettent aux uns de percer les mystères de la création, à d’autres de soigner et de guérir, à d’autres encore d’exprimer, par leur talent ou leur corps, les richesses expressives de l’être humain. Quelques uns se sentent plus précisément attirés par la quête du sens de la vie et donc par la question de Dieu. Ils peuvent y répondre par un travail dans les très nombreuses sciences humaines ou au plus près de Dieu, au service de sa Parole telle qu’elle nous est parvenue dans les Ecritures.

    « Au plus près de Dieu », cela ne veut pas dire que d’autres, dans différents engagements humains, ne seront pas plus près de Dieu que le ministre du culte. Cela veut dire que l’objet premier des préoccupations des consacrés est la personne même de Dieu, d’un Dieu qui s’est donné aux hommes et qui continue de se donner à eux en les emplissant de son Esprit lors du baptême et de son corps dans l’eucharistie. C’est la réalité sensible du don de Dieu qui nécessite que des hommes et des femmes soient plus particulièrement affectés au service de sa présence au milieu des hommes.

     

    L’appel particulier que peuvent entendre ceux qu’on qualifie de consacrés n’est pas supérieur à l’appel universel. Il se situe par rapport à lui et non l’inverse. Il en est une modalité. Il est à son service et au service de tous les autres appels particuliers auxquels il est appelé à donner sens. Ceux qui pensent avoir été appelés à signifier la présence aimante de Dieu doivent donc savoir qu’ils se trouvent appelés à mener une vie qui fasse entrevoir sa perfection et sa sainteté, sa justice et son amour pour tous. Dès lors la seule certitude subjective de l’appel ne suffit pas, puisqu’il y va d’une responsabilité officielle qui dépasse de beaucoup celui qui se sent appelé.

    La communauté des croyants, mais aussi l’humanité entière aspirent à ce que des fonctions aussi symboliques soient accomplies par des personnes qui témoignent en vérité de ce Dieu, tout en sachant qu’il s’agit d’hommes et de femmes fragiles, imparfaits et limités. Il est donc nécessaire de ne pas s’en tenir à l’impression subjective du prétendu appelé, mais d’exercer un discernement sérieux. Tel qui se croit appelé par Dieu peut tout simplement fuir sa responsabilité d’assumer sa vie humaine. S’il est en fuite de sa condition humaine, comment pourra-t-il en manifester sa dimension spirituelle ?

    Une « Journée pour les Vocations », si elle est restreinte à la seule vocation consacrée ne doit pas être la simple occasion de solliciter des cœurs généreux. Elle doit être l’occasion de réfléchir à ce qu’on appelle la crise des vocations, tout en sachant que celle-ci ne trouvera pas d’issue dans des appels lancés à la ronde mais dans une réflexion sur la relation de notre société contemporaine avec une Eglise progressivement marginalisée, très spécialement aux yeux de la jeunesse.

     

    À quand une nouvelle fécondité ?


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  • Des prisonniers irakiens ont subi des violences et des tortures. Cette nouvelle a fait l’effet d’une bombe. Photos à l’appui le monde entier a vu des hommes dénudés, réduits à l’état de chose, livrés aux caprices et aux pires fantasmes de leurs gardiens. Ceux qui auraient dû veiller sur eux et les protéger sont devenus leurs bourreaux. Les photos qui ont été publiées ont visiblement été prises avec le consentement des tortionnaires, fiers de leur barbarie comme d’un trophée.

    Ceci rappelle d’autres conflits, d’autres tortures, d’autres images. Le propre de celles qui ont paru dans la presse et à la télévision montre que les sévices relevaient plus de la bestialité la plus dégradante que de la brutalité, comme si un glissement s’était opéré dans le genre de représailles qu’on pouvait se permettre de faire subir à un ennemi. Comme si les dévoyés de notre civilisation se plaisaient dans la fange, régressaient vers le sadisme. Ceci mériterait réflexion et analyse dans notre monde envahi par les images, dont nombreuses sont celles qui sollicitent nos instincts les plus pervers. Il finit par arriver, comme en Irak, qu’on se trouve dans une situation de non droit où l’on croit pouvoir donner libre cours à sa perversité en toute impunité.

    Il y a eu également des violences physiques plus atroces que celles qu’on nous a montrées puisque de nombreux prisonniers sont morts des suites du traitement infligé. Cela dans le but d’obtenir quelques informations et de protéger l’armée occupante. Cette sorte de violence est commune à tous les conflits. C’est le face à face inégal de celui qui a la force physique à sa disposition et de celui qui ne dispose que de ses capacités de résistance physique et psychique. La disproportion des moyens nie l’humanité dans la personne du torturé. Elle est une atteinte totale à la dignité de sa personne.

     

    Reste que la guerre est, en elle-même, un scandale et une inhumanité. Lorsque quiconque déclenche une guerre, il plonge l’humanité dans l’inhumain. Il lui ouvre toutes grandes les portes. Les conséquences qui semblent scandaliser et provoquer la surprise étaient prévisibles. Elles étaient écrites déjà dans la déclaration de cette guerre. Lorsqu’en plus l’armée est celle d’un Etat qui se pense investi d’une mission quasi messianique, comment ne se croirait-elle pas tout permis ? Si l’on ajoute que cet Etat, dans sa prétention de pureté et d’innocence présumées, refuse que ses militaires puissent être jugés pas un tribunal international, pourquoi ses tortionnaires ne se sentiraient-ils pas protégés et déjà pardonnés ? Si tous ne seront pas pardonnés, tous ont été piégés par leurs dirigeants. Que dire encore si l’on ajoute à ce qui précède l’exemple de Guantanamo où sont entassés depuis de longs mois les soi-disant Talibans, à la merci pure et simple des gardiens de leur camp, dont il n’y a plus aucune raison de penser qu’ils ne ressemblent pas, dans leurs méthodes, à leurs camarades d’Irak ?

    Mais qui peut aujourd’hui s’opposer avec fermeté à ces incohérences américaines qui salissent et caricaturent l’image de la démocratie ? Elles vont finir par rendre haïssable cette démocratie par ceux que les États-Unis veulent convaincre de l’adopter. La puissance américaine et sa supériorité incontestable dans tous les domaines risquent de ruiner l’idéal de liberté dont ils se croient les détenteurs et les porte-drapeau. On ne peut pas être tout-puissant et gendarme du monde et en même temps prophète d’un nouvel humanisme. Cela est difficile même en temps de paix, la toute-puissance ayant du mal à se faire discrète et à se tenir non pas au-dessus des autres, mais à leur écoute dans le seul but de coopérer avec eux. Or l’humanisme s’arrête là où commence la guerre. La volonté d’imposer un idéal par les armes signe l’arrêt de mort de l’idéal. Sauf s’il s’agit d’une guerre purement défensive en réponse à des attaques armées, sans autre objectif que de se défendre.

     

    L’affaire des prisonniers irakiens scandalise. Elle ne devrait pourtant pas étonner. Elle illustre la violence de l’homme, une violence toujours prête à se déchaîner, une violence qui commence au plus haut niveau de l’État puisque ce sont les dirigeants qui la décident. Eux croient garder les mains propres parce qu’ils sont dans leurs bureaux. Pourtant le sang retombe inévitablement sur eux.

    Sur une planète rendue toute petite et interdépendante grâce à l’évolution technique, il est indispensable de donner tout leur poids aux institutions internationales, sans distinction entre les grands et les petits, pour éviter que les inévitables conflits ne dégénèrent en guerres.

    Cette affaire a l’avantage de nous éveiller aux dangers courus par notre humanité. Nous ne sommes pas à la hauteur de notre responsabilité d’humanisation de la création. Celle-ci implique que nous soyons soucieux de permettre l’épanouissement de la liberté, de la justice et de la fraternité. Faute de quoi nous pourrions bien sceller la disparition de l’homme sur la planète terre.

     

    Arrachons-nous à la violence.


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