• 11 janvier 2004 Crash.

    L’évolution des techniques, la fiabilité de toutes les innovations mécaniques nous font croire que les risques ont disparu. C’est la stupeur lorsqu’un accident spectaculaire survient au point que, dans notre monde de terrorisme, on a du mal à croire qu’il peut être du, non pas à un attentat, mais à une banale cause mécanique ou à une erreur humaine. Or la mécanique et l’homme sont l’un et l’autre faillibles. Nous devons nous résigner à ce que, chaque fois que nous confions notre vie à une mécanique ou à la main des hommes, nous courons le risque de la perdre.

    En raison de la fiabilité supposée des techniques, un accident de quelque ampleur prend aujourd’hui l’allure d’un drame national, comme si la patrie était en danger et devait se solidariser avec les familles des victimes. La nation entière se trouve associée, par médias interposés, à ce qu’on appelle le travail de deuil. Chacun est appelé à y aller de sa tristesse en apprenant la disparition des enfants avec leur mère, de l’institutrice et des autres touristes… soudain devenus proches et familiers. S’ensuit une liturgie à la dimension de l’événement dans laquelle place est faite à l’affliction, à la détresse, à la cérémonie religieuse, à la visite d’un ou de deux ministres sinon du Président de la République sans oublier la cohorte des médecins, psychologues et autres spécialistes du chagrin.

    Moyennant ce déploiement, le travail de deuil, nous dit-on, peut commencer. Toutefois l’émotion passée, on fera savoir que ce travail de deuil ne pourra vraiment s’achever que lorsque des indemnités financières auront été décidées puis versées. Curieux mélange de commisération généralisée et d’intérêt bien compris. Tout cela est humain, bien humain. Mais la peine ressentie par les familles, le vide et l’absence laissés par ceux qu’on a aimés et qu’on continue d’aimer, ont-ils besoin, pour se les dire à soi-même et en souffrir, de tout cet attirail médiatique ?

     

    Nous sommes dans une société du spectacle, dans une société qui se donne en spectacle et qui prétend régler les problèmes personnels les plus intimes et les plus douloureux par l’expression publique. Se donne-t-on les moyens de faire le deuil en profondeur ? Ne confondons-nous pas le deuil et l’apparence du deuil ? La mise en scène du deuil n’est pas le deuil et le spectateur ne doit pas se tromper sur la qualité de ses émotions. Tel qui pleure en regardant les images télévisuelles peut très bien avoir le cœur sec lorsqu’il s’agit de ses affaires personnelles, lorsque se mêlent ses passions, ses jalousies et ses vieilles rancœurs dont il est bien incapable de faire le moindre deuil, sinon au terme d’un effort qui lui demanderait un engagement total dans le pardon. La souffrance des autres donnée en spectacle n’est pas la meilleure pédagogie du deuil. Mieux vaut une pièce de théâtre ou un film qui a au moins l’avantage d’être le fruit de l’imagination, même s’il s’agit de représenter un fait réel. Sorti des mains de l’artiste, le fait-divers est une création nouvelle, avec le recul nécessaire

     

    Une constante du deuil tel qu’on nous le présente aujourd’hui est d’être tourné vers le passé. On veut comprendre ce qui s’est produit, revivre les derniers instants du disparu, l’accompagner dans son effroi, aller sur le lieu où ont eu lieu l’accident puis la mort. Toucher ce lieu, c’est retrouver celui qui était vivant, passer un moment avec lui, s’assurer qu’il est bien, là où il est. Cette rencontre vaut accompagnement du mort, apaise les craintes imaginaires et transfère le disparu dans l’intime du cœur.

    Mais le deuil peut-il se suffire de la reconstitution du passé et de la ré appropriation des émotions ? Aucun deuil, il est vrai, ne peut négliger le travail de patience qui conduit à donner sa place au mort dans son cœur, où l’on vient s’abreuver, comme à une source inépuisable, de souvenirs mais aussi de la paix que procure la relation nouvelle avec l’aimé, désormais présent par mode d’absence. Mais pour vivre à ce niveau de profondeur, le passé ne suffit pas car il reste en suspens dans le vide. Or le deuil est une vie au présent avec le défunt, de façon aussi réelle que possible.

    Sans nier l’importance et l’intérêt du travail de deuil tel que la société contemporaine en parle, il semble que ce travail ne puisse être réellement achevé que par un regard non pas sur le passé mais essentiellement sur l’avenir. Pendant les siècles où n’existaient ni les médias, ni les voyages funéraires, ni les psychologues, des milliers d’hommes et de femmes sont morts dans des catastrophes. Leurs familles et leur amis ont fait le deuil non pas seulement en glanant et rassemblant des souvenirs, mais en se projetant dans ce qui était pour eux une réalité, la présence du défunt auprès du Père. Une présence non pas fantasmatique, mais bien réelle puisque garantie par Celui qui était mort et qui est ressuscité. L’eucharistie était le lieu où être désormais en communion actuelle et active avec les défunts vivant dans la gloire de Dieu. Elle anticipait l’heure où les vivants iraient les rejoindre.

     

    Le travail de deuil, un travail à réinventer ?.

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