• On fait beaucoup parler Dieu. L’Ancien Testament ne cesse de claironner Dieu dit. Nous avons l’impression que Dieu, en ce temps-là, était très bavard. Il dictait sa Loi à Moïse, il inspirait les prophètes, il apostrophait son Peuple. Dieu était partout, sur tous les fronts. Il veillait à la postérité difficile d’Abraham, il prenait la tête des armées contre les Egyptiens, il se manifestait à ses élus Moïse et Elie, il punissait les mauvais rois. Il intervenait sans arrêt dans l’histoire et il n’a pas hésité à laisser son Peuple humilié sous le joug des étrangers et même à être déporté.

    Puis, tout d’un coup, tout s’arrête ou presque. C’est le grand silence de Dieu pendant des siècles. Dieu laisse mûrir son Peuple. Il est temps pour le Peuple de comprendre ce que Dieu a dit dans le passé. Mais au fait, qu’a-t-il dit ? Personne n’est dupe. Lorsque les prophètes écrivent Dieu dit, tout le monde sait bien que c’est une figure de style. Le prophète est un inspiré et place sous le patronage de Dieu - et donc dans sa bouche - son message. L’évocation de Dieu suffisait à attirer l’attention sur l’importance des paroles qu’on lui prêtait en direct. Mais Dieu ne parle pas avec des mots humains.

    Alors, qu’a dit Dieu ? Qu’a-t-il voulu dire dans le passé ? Il faut se rendre à l’évidence : il n’a pas dit grand-chose. Tout au plus peut-on Lui concéder d’avoir dit Son Nom. Et encore ! Pour le reste, tantôt il lance de grandes philippiques contre les nations voisines et tantôt il s’en fait des alliées. Il baigne dans la politique internationale. C’est son domaine privilégié. Mais il aime aussi s’élever contre toute la boucherie des sacrifices et des holocaustes. Il préférerait un autre type de sacrifice, mais on ne l’écoute pas. Il faudra qu’il vienne en personne pour être entendu.

     

    Qu’est-ce que Dieu peut bien avoir à dire ? Il n’est pas familier des mots. Il ne fait pas de discours. Il n’est pas sûr qu’il aime donner des conseils. Même si on lui prête un tempérament volontiers colérique et jaloux, il semble préférer le pardon. Parfois il semble désarçonné par ceux qui sont dans le malheur et d’autres fois il épouse les souffrances des hommes au point de les prendre sur lui. Tout cela est suggéré, jamais affirmé. Dieu inspire. Il ne démontre rien. Il se contente d’être. Cela suffit pour l’instant. C’est l’essentiel : l’homme n’est pas seul. Dieu veille.

    L’Ancien Testament, plein de Dieu dit, est en fait plein du silence de Dieu. C’est une aventure émouvante dans laquelle Dieu tente de combler l’abîme qui nous sépare de lui. Il essaie de se faire connaître. Non par de belles définitions, démonstrations, ou raisonnements auxquels nul ne saurait résister, mais par le lent déroulement des événements historiques dont son peuple est le centre. Toute l’histoire d’Israël est la toile de fond sur laquelle Dieu dévoile peu à peu qui Il est, quel est son Nom. Ce nom devra attendre Jésus pour que nous osions le traduire par un mot, Père, avec tout l’amour et l’attention que suggère ce mot. Père pour l’homme. Père pour l’humanité.

    Dieu a parlé à travers l’histoire tumultueuse des hommes jusqu’à ce qu’Il vienne Lui-même dans la personne de son Fils. Mais le Fils est resté aussi discret sur Dieu que le reste de l’Écriture. Il est, lui seul et dans son unique personne, la révélation. Il est le seul discours que Dieu puisse tenir à l’homme. Les mots qu’il a prononcés sont les nôtres, mais il ne les a pas utilisés pour tenir des propos sentencieux sur son père. Il en a fait des récits, des paraboles. Et comme cela ne suffisait pas, il a fait de son corps et de sa vie le dernier message dans lequel Dieu s’est introduit en personne.

     

    L’homme moderne ne cherche pas à savoir si Dieu a quelque chose à lui dire. Il n’attend plus de Dieu qu’il lui donne des conseils. Non par rejet de Dieu, mais parce qu’il estime qu’en notre 21ème siècle il a pris suffisamment conscience de ce qu’il est en tant qu’être personnel et social pour ne pas avoir à demander l’avis de Dieu. Ce serait plutôt de l’indifférence ou, pire, de la négligence.

    L’homme moderne agit et pense comme s’il n’y avait pas de Dieu, dès lors qu’il n’en a plus besoin pour se rassurer ou en recevoir des ordres. Ceci ne veut pas dire que Dieu se taise absolument, maintenant qu’il est remonté au ciel. Cela ne veut pas dire que l’homme lui est devenu indifférent. Cela ne fait que confirmer que Dieu n’a jamais voulu donner d’ordres ou imposer une pensée. Il n’a eu qu’un seul souci : se faire connaître comme JE SUIS. Et s’il est, il est autant aujourd’hui qu’hier.

    Dieu a donc encore quelque chose à dire. L’exemple de l’Ancien Testament est là pour nous en assurer. Il parle. Il continue de parler. Non par des mots. Non dans l’histoire d’un peuple, mais dans les histoires personnelles de chacun d’entre nous, si nous savons déceler le langage parabolique de nos vies. L’homme peut-il être lui-même sans Dieu ? Peut-il définitivement se passer de la question de Dieu ? La plénitude de l’homme n’implique-t-elle pas une présence de Dieu, à Dieu ?

     

    Dieu n’a rien à nous dire, si ce n’est qu’IL EST et qu’il nous appelle à ÊTRE-AVEC-LUI.

    Dieu garantit notre ultime identité.


    votre commentaire
  • …après New-York, 11 septembre 2001. Le terrorisme est toujours présent. Quelle que soit la cause qu’il prétende défendre, quels que soient les hommes qui s’en font le bras, le terrorisme est une force aveugle, prête à l’emploi. Il continue de frapper partout où il peut. Il se nourrit de la haine des hommes les uns contre les autres et il l’entretient. Il n’a pas d’autre ambition que d’affoler les gens, de provoquer des tueries, de convaincre que le crime à l’échelle d’une population est la réponse la mieux adaptée à certaines situations politiques. Il se propose pour donner une leçon aux adversaires et les faire reculer en déployant sa sauvagerie, fort du bon droit que s’attribuent les terroristes.

    Pour les autorités il importe de savoir qui est l’auteur du crime. Il importe de poursuivre le criminel et de ne pas se tromper de piste, tant sont nombreux aujourd’hui les terroristes en puissance. Cependant, quel qu’il soit dans tel attentat précis, il est un autre commanditaire, anonyme et universel, la violence. Elle habite le cœur de tout homme. Ses basses œuvres sont quotidiennes et elle ne cesse de provoquer des morts à la petite semaine : crimes, assassinats, vengeances de sang… quand ce ne sont pas des morts psychologiques et affectives. Nous la connaissons bien. Elle nous fréquente.

    La démesure est la vraie mesure de la violence. Elle peut s’embraser jusqu’à devenir une déportation, un génocide, une folie destructrice, pour faire un maximum de victimes, faire couler le sang. Pour le plaisir de faire un exemple, de punir, de montrer sa puissance, de faire justice au nom d’une cause prétendument sacrée. La race, la religion, le nationalisme sont un terreau d’élection pour nourrir une telle violence et la faire prospérer jusqu’aux extrêmes chez des esprits pervertis.

     

    La violence est un mystère. Elle est inscrite profondément non seulement au cœur de l’homme, mais au cœur de la matière, au cœur de la création. Toutes les religions se trouvent aux prises avec ce problème de la violence ; toutes l’intègrent comme elles peuvent. Quelle que soit la façon de concevoir Dieu, on ne peut éviter de le situer par rapport à la violence. Il peut en être le promoteur, dieu sanguinaire parmi d’autres divinités plus pacifiques, il peut s’y opposer comme à un Léviathan monstrueux, il peut prendre sur lui la violence des hommes et en mourir…

    La violence des hommes s’impose comme une composante de notre vie, inévitable, indissociable de notre nature. Qu’on l’associe au péché d’origine ou à une autre cause, elle est là depuis la conception de chacun de nous. Elle y est comme une graine suspecte. Ce qui distingue la violence de l’homme de la violence de la nature ou de celle des animaux, c’est que la nôtre est prise en charge par notre esprit. Elle devient volontaire et calculatrice. Le génie de l’homme la rend plus destructrice. L’imagination peut y prendre goût comme à un jeu, s’y complaire comme à un spectacle. Chacun de nous ne peut-il pas éprouver une fascination devant de grandioses catastrophes ?

    La violence est une force intérieure qui peut tout ravager si nous ne parvenons pas à la maîtriser. Elle détruit tout autour d’elle, car elle ne fait pas de distinction entre ceux qui nous sont insupportables et les autres. Tous se retrouvent englobés dans une même haine trop intense pour être limitée. Mais surtout la violence fait des ravages sur le violent lui-même. C’est tout son équilibre intérieur qui est remis en cause. Il enrage, se coupe des autres, cultive et entretient sa haine et cherche une proie. Il se ronge de ne pas être reconnu comme il souhaiterait l’être, un homme qu’on respecte.

     

    Lutter contre la violence, c’est humaniser l’homme, éclairer son esprit. Ce n’est pas une question d’intelligence cependant, car il ne manque pas d’hommes intelligents et violents. L’utilisation de l’intelligence, lorsqu’elle est bien développée, accroît au contraire la dangerosité du violent. Humaniser, c’est aider à se remettre en question de façon permanente, apprendre à se critiquer, à ouvrir largement son regard sur les autres et à accueillir leurs pensées, leurs inclinations, leurs choix. Alors peut commencer en nous le règne de la violence contrôlée, de la paix

    Lutter contre la violence, c’est développer la société pour éviter les frustrations, l’inactivité et le sentiment du rejet qui en font le lit et augmentent le nombre des violents. C’est faire œuvre de justice sociale, de création d’emplois, de répartition des richesses. C’est développer l’éducation pour que chacun parvienne à comprendre le monde, à s’épanouir et à accepter les autres comme ils sont et soi-même comme il est. Alors peut-être commencera le règne de la justice.

    Lutter contre la violence, c’est faire violence à la violence qui sommeille en nous. C’est la reconnaître, la situer, entretenir un rapport clair avec elle, lui faire sa place afin qu’elle ne déborde pas, mais l’avoir toujours à l’œil. Car elle a des tas de bonnes raisons à faire valoir pour se manifester et nous mener où elle veut. La violence ainsi maîtrisée peut-être commencera le règne de l’amour.

     

    Madrid, une raison de plus de lutter contre toute forme de violence.


    votre commentaire
  • Pour la justice et pour tout le monde, l’hésitation n’est pas possible. Le seul coupable est celui qui est jugé à Vilnius, Bertrand Cantat. Il a reconnu lui-même avoir donné quatre gifles très violentes. Ce sont elles qui ont provoqué indirectement la mort de Marie T. Bertrand Cantat reconnaît toute sa responsabilité et affirme qu’il n’aurait pas dû perdre le contrôle de lui-même. Il n’a pas appelé les secours, pensant ne pas en avoir besoin. La réponse à la question est claire. B.C. a tué Marie T.

    La mort a-t-elle été intentionnelle ? Le tribunal de Vilnius semble le penser. On peut  cependant imaginer qu’il s’agit plutôt d’un drame passionnel et que l’intention de tuer n’a pas été présente à l’origine. La question ne manque pourtant pas d’importance, puisque la peine ne sera pas la même selon l’appréciation que donneront les juges de la scène de violence entre Bertrand Cantat et Marie T. Cependant chacun est libre de faire sa propre analyse selon ce que le procès lui a permis de comprendre, sans être obligé de suivre le tribunal dans la qualification du crime qu’il propose.

    Bertrand Cantat sera sévèrement condamné de toutes façons puisque c’est son geste qui a abouti à la mort. La loi doit s’appliquer et tout ce que nous pouvons espérer, c’est que Bertrand Cantat sache retrouver un souffle créateur pour continuer sa carrière de chanteur. Il pourra puiser une inspiration nouvelle, douloureuse sans doute mais plus profonde, dans l’expérience cruelle qu’il vient de vivre. C’est sans doute ce que nous pouvons espérer de mieux.

     

    Pouvons-nous en rester là et nous contenter de cette évidence : Bertrand Cantat a tué Marie T. ? Ce meurtre n’a-t-il pas d’autres protagonistes ? Le métier d’artiste n’est pas innocent en cette affaire. Nous savons que Marie T. était en plein tournage de film. Le tournage est un moment où la sensibilité de l’artiste est sollicitée dans toute sa richesse. C’est un moment de grande excitation et d’exaltation des sentiments. Ce n’est pas par hasard que le métier a conduit à la mort par suicide plusieurs grandes vedettes : James Dean, Marilyn Monroe, Patrick Dewaere et bien d’autres.

    L’exercice du métier d’artiste pose un problème éthique. Jusqu’où le metteur en scène et le producteur ont-ils le droit moral d’aller dans l’engagement physique, affectif et sensible demandé à l’artiste ? Certes il y va de la réussite du spectacle et de l’attente du public. N’y a-t-il pas de limites ? Tout artiste est fragilisé à force de travailler avec et sur sa sensibilité. D’où parfois le recours à l’alcool ou à la drogue. Le métier d’artiste est un métier à risques. Il ne permet pas toujours de vivre une existence équilibrée, pour peu que l’on soit obligé de donner le maximum de ce que l’on peut donner.

    Bertrand Cantat est lui-même un artiste, un artiste fortement engagé dans sa discipline mais d’une toute autre trempe que les artistes de cinéma. Lui aussi travaille avec sa sensibilité et la garde en permanence exacerbée. La passion qui le liait à Marie était teintée de ces excès et de cette exacerbation affective. Leur art alimentait leur passion et leur passion se nourrissait de l’affinement de leur sensibilité par leur art. La façon très engagée avec laquelle ils vivaient leur art l’un et l’autre ne pouvait pas les aider à vivre leurs conflits dans l’apaisement et avec le recul.

     

    L’environnement, la famille, les amis, l’histoire de chacun ont aussi joué leur rôle dans ce drame comme dans tous ceux qui lui sont semblables. Un drame ne vient jamais seul par la faute d’une personne. Il est le point d’aboutissement d’une multitude de causes qui aboutissent au geste fatal, sans avoir été prévu, sans avoir été voulu. Si aucun membre de l’entourage ne passe en jugement dès lors que le criminel est clairement identifié, celui-ci a cependant pu être conduit à son acte par l’éducation qu’il a reçue, par le climat de paix ou de violence dans lequel il a grandi et vécu. Les haines qui se sont exprimées au tribunal de Vilnius peuvent expliquer certaines tensions antérieures au drame.

    Bertrand Cantat était marié, père de deux enfants et Marie T. avait eu plusieurs compagnons dont elle avait eu quatre enfants. Cette situation montre une instabilité affective, la recherche d’un amour extrême jamais atteint. Lors des moments de tension dans un couple, les absents continuent de compter et d’être là. Ils pèsent sur le déroulement du drame ainsi que tout le vécu antérieur.

    Une passion forte habitait tant Bertrand Cantat que Marie T. et alimentait ce que Bertrand Cantat traduit par le désir d’absolu de Marie T. L’absolu, c’est le désir de parvenir, par une tension extrême de la sensibilité, à la possession d’un bien inaccessible, impossible à satisfaire en ce monde. La passion qui les a unis fut une belle passion, exceptionnelle en notre siècle si léger en matière sentimentale. Elle pourrait bien devenir exemplaire, la mort lui apportant sa touche tragique.

     

    Qui a tué Marie Trintignant ? Bertand Cantat certes.

    Mais avec quelle complicité morale ? l’art, la famille, Marie T. elle-même ?


    votre commentaire
  • En ces temps d’élections, le pays se mobilise pour choisir des acteurs politiques qui auront la charge de gouverner nos régions. Bien que régionales, ces élections se déroulent avec, en toile de fond, l’opinion que se font les citoyens sur le gouvernement actuel. La relation entre le pouvoir central et le pouvoir régional est bien établie, puisque ce sont les mêmes partis qui sont présents ici et là et puisque les présidents des conseils régionaux sont des hommes politiques de niveau national.

    « Il n’y a plus de différence entre les partis », entre la droite et la gauche, peut-on entendre dire. Cela vient de ce qu’un Etat ne peut plus vivre dans l’isolement total par rapport à ses voisins. Il ne peut plus se livrer à une politique économique totalement singulière en contradiction avec la leur. Les gouvernants doivent tenir compte de l’environnement international sous peine d’échec, d’où une certaine homogénéisation entre Etats et entre partis. Les grandes options se prennent à l’échelon d’un continent et plus encore du monde. La mondialisation n’est pas un vain mot.

    L’Europe commence à exister et oblige à certaines contraintes. Bien des décisions importantes transitent par Bruxelles. Aucun Etat européen ne peut échapper aux règles qu’il a ratifiées. Il s’ensuit des modèles qui tendent à uniformiser les grands schémas directeurs des uns et des autres. La liberté d’initiative et de changement s’en trouve forcément limitée. Un changement de majorité politique peut sembler, dans ce contexte, être purement formelle, sans incidence pratique. D’où le désintérêt pour les élections. « Ils sont tous pareils », peut-on entendre dire de façon désabusée.

     

    Or le corps électoral s’est réveillé. Le taux de participation aux élections régionales a montré que les Français n’étaient pas aussi dépolitisés ni aussi sceptiques en matière politique qu’on le disait. Du coup la traditionnelle opposition gauche – droite s’est réveillée. Elle a joué un rôle, négatif peut-être au premier abord, dans la contestation à l’égard du gouvernement. Mais toutes les élections connaissent ce phénomène d’ajouter les votes négatifs aux voix des partisans convaincus. Ces élections ont permis de renouer avec les basculements de majorité liés aux sensibilités politiques.

    La vie ne sera pas rendue plus facile avec les uns qu’avec les autres étant donné les contraintes mondiales. Les électeurs peuvent l’espérer et les discours électoraux peuvent le laisser penser. Mais aucun homme politique ne peut faire de miracle. Il ne peut que s’efforcer de faire régner un peu plus de justice dans le pays, en ayant le souci du bien minimum de chacun (logement, santé, biens de consommation de base…) tout en tenant compte de l’état des finances publiques.

    Cette base étant admise par tous, l’accent ne sera pas mis de la même façon par des gouvernants de droite et par des gouvernants de gauche. D’où les peurs qu’ils entretiennent les uns à l’égard des autres. Mais il est peu d’exemples où le changement de majorité a entraîné des catastrophes dans les pays démocratiques. Il est même sain de savoir pratiquer l’alternance et d’accepter que l’opposition d’hier prenne la relève et s’occupe de ce qui avait pu être négligé.

     

    Les élections permettent non seulement de tester la popularité d’une politique (les sondages y suffisent), mais de renouveler les propositions. L’impopularité d’une politique ne veut pas dire qu’elle est mauvaise, mais qu’elle est mal perçue. Chaque personne et chaque parti en effet a une vision limitée d’une situation donnée, en fonction de ce qui lui paraît essentiel, mais qui est second pour d’autres. Il est impossible à quiconque d’avoir une vision absolument universelle et exhaustive de l’ensemble des problèmes, d’où le bienfait des regards différents des divers partis.

    Selon qu’il a le cœur à droite ou à gauche, chacun voit la réalité politique, économique et sociale, sous un certain angle. Les uns seront plus sensibles aux grands équilibres économiques, d’autres aux besoins des petites gens. Les deux se complètent à un moment donné, car comment satisfaire les pauvres si l’on ne s’occupe pas de l’économie, de la création d’emplois, de la bonne santé des entreprises ? Mais dans une période de grand chômage, comment permettre à chacun de vivre si on ne lui reconnaît pas le droit à une part du produit de la nation ?

    Les périodes électorales sont des périodes de tension où chacun exprime ses désirs et ses frustrations. Mais il ne faut pas dramatiser les situations, du moins en temps ordinaire, lorsque nous ne sommes pas en état de catastrophe nationale actuelle ni prochaine. Si notre sensibilité est celle de ceux qui vont perdre aujourd’hui, ce n’est pas la fin du monde. Cela veut dire que les affaires de l’Etat seront gérées d’une façon différente de ce qui serait le meilleur selon notre point de vue. Si nous pensons avoir tout de même la meilleure analyse de la situation, bien que perdants, il nous appartiendra de faire entendre notre voix. Qui dit qu’il n’y aura pas une oreille pour entendre ?

     

    Votons en conscience en nous efforçant de promouvoir l’intérêt général.


    votre commentaire
  • Partout dans le monde les chrétiens s’apprêtent à célébrer la Semaine Sainte. Une semaine au cours de laquelle nous voyons un homme s’approcher chaque jour un peu plus d’une mort odieuse pour être finalement cloué sur une croix. Victime innocente, sa mort est l’aboutissement de la violence primaire et de l’aveuglement des hommes. La cause de Dieu en fut le prétexte. Nous concevons mal cependant que Dieu, s’il est un Dieu de miséricorde, de justice et de paix, ait programmé un Vendredi Saint. N’a-t-il pas proclamé, par la bouche de ses prophètes, son horreur du sang répandu ?

    Certains théologiens avancent l’idée que l’homme avait une dette envers Dieu, dette que Jésus aurait payée pour nous. Cependant Jésus, lui, nous parle d’un Dieu qui pardonne et qui remet leurs dettes aux plus endurcis des hommes, un Dieu qui ne peut pas vouloir la mort du juste. Lorsque ce Dieu s’est fait homme pour dire aux hommes sa proximité, il s’est retrouvé aux prises avec leurs intérêts mesquins, leurs idées arrêtées et leurs mensonges. Il a été livré à leur brutalité alors que ceux-ci prétendaient n’avoir d’autre souci que de défendre son honneur à lui Dieu, mais à leur façon et non pas à la Sienne. Ils ont agi comme ils ont l’habitude de faire pour régler leurs problèmes. Dieu, dans l’affaire Jésus, n’a été qu’un prétexte comme le sont aujourd’hui la race, la religion ou l’ethnie.

    Un anniversaire nous suggère ce rapprochement. Il y a dix ans éclatait le génocide du Rwanda (environ 500 000 morts en un mois). Le 6 avril 1994, l’avion du président Habyarimana est abattu. Le 11 avril la chasse aux Tutsis commence en vue d’une extermination totale. Nous allons vivre notre Semaine Sainte entre ces deux dates. Le massacre commencera le jour de Pâques. Quel anniversaire pour les rescapés de la tuerie ! Quelle source de méditation pour les chrétiens !

     

    La race n’a pas été évoquée dans le procès et la mort de Jésus, mais bien sa volonté de libérer l’homme d’une fausse conception de Dieu qui entraînait sa soumission à des règles soi-disant divines. En fait, qu’il s’agisse de race ou de Dieu cela suscite le même type de réaction chez l’homme : l’homme a besoin de sang. Il n’hésite pas à supprimer ceux qui le gênent et qui s’en prennent à ses privilèges, que ce soit le Juif, le Tutsi, le Serbe, le Kosovar ou le Dieu tel que d’autres en parlent… Il est incapable d’accepter le droit de l’autre à être ce qu’il est et à penser ce qu’il pense et il se plaît à en faire le bouc émissaire des infortunes du moment présent. Reste à supprimer cet indésirable pour que viennent, croit-il, des lendemains meilleurs. Qui résisterait à une telle logique ?

    C’est par de pareils raisonnements qu’on amène les hommes à faire des actes de barbarie avec la meilleure conscience. Les témoignages des génocidaires du Rwanda sont terrifiants en ce sens. Même aujourd’hui ils semblent ne pas se rendre compte de l’horreur commise. La veille encore tous, Tutsis et Hutus buvaient ensemble la même bière dans les mêmes boutiques, jouaient dans les mêmes équipes de football, fréquentaient les mêmes églises et chantaient dans les mêmes chorales. Et le lendemain, manipulés par une propagande venimeuse, poussés par des extrémistes, tous les hommes Hutus ont pris leur machette et sont partis tuer leurs voisins, leurs amis, leur femme pour certains. Ils ont commencé par couper les femmes et les enfants réfugiés dans les églises devenues un lieu de carnage. « A force de tuer, on avait oublié de vous considérer » a déclaré un Hutu à un survivant Tutsi.

     

    La Semaine Sainte ne diffère pas beaucoup de ces autres semaines et mois sanglants qui se multiplient un peu partout sur la surface de la planète, comme une gangrène. Si ce n’est que Jésus est le plus illustre de toutes ces victimes innocentes. Homme de paix, il a été exécuté sous des prétextes religieux mais en fait à cause des craintes qu’il éveillait chez les puissants de son époque. Il est devenu le symbole de tous les innocents tués sans autre raison que la gêne et la peur que suscite leur différence. Mais sa souffrance personnelle d’homme ne se distingue malheureusement pas des tortures que subissent d’autres victimes. On a vu pire que ce que montre, paraît-il, le film de Mel Gibson.

    La force du symbole Jésus est que sa mort laisse espérer qu’elle n’a pas été pour rien et que la folie des hommes sera finalement vaincue parce que le sang des innocents crie vers Dieu depuis Abel le juste. Dieu lui-même, en Jésus, a versé son sang, sceau d’alliance entre Lui et l’humanité souffrante. Il l’a versé à contre cœur, par fidélité à lui-même, avec l’horizon d’une victoire décisive sur la violence et la mort. Mais au regard d’un homme, ce salut tarde douloureusement.

     

    Sainte semaine du martyre que l’humanité se donne à elle-même.

    Sainte semaine où l’homme est appelé à prendre conscience de ses peurs, de ses haines, de l’obscurcissement de sa conscience, de sa violence et de son intolérance.

    Sainte semaine où l’homme peut tenter de se relever, de maîtriser la folie qui l’habite, de prendre en main enfin la responsabilité de la terre que Dieu lui a confiée en héritage.


    votre commentaire