• Le feuilleton est achevé et M. George W. Bush a été élu.

    Les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette élection sont surprenantes pour un observateur étranger habitué au décompte pur et simple des voix et au recompte en cas de doute ou au cas où l’écart est si faible qu’une vérification semble la bienvenue.

    Faire dépendre le résultat d’une élection de joutes procédurières pour savoir si on peut on non recompter des voix, donner des délais tels à ce recomptage qu’on sait à l’avance qu’il ne sera pas possible d’aller au bout de la tâche, cela surprend, étonne, indispose.

    Il paraît clair que M. Bush ne doit son élection qu’au fait que des bulletins n’ont pas été pris en compte. L’irruption du judiciaire dans l’élection n’a eu d’autre but que d’empêcher la vérité des chiffres, une vérité que redoutait M. Bush. Pour cacher des irrégularités ? Tous les soupçons sont permis dans un Etat que contrôle le propre frère du nouveau président.

    Les circonstances de cette élection laissent planer un doute sérieux sur la légitimité du nouveau président et sur le fonctionnement de la justice américaine. Il n’y a eu de bataille que de procédure et la recherche de la vérité en a été empêchée.

     

    Les observateurs politiques estiment que la présidence de M. Bush sera affaiblie à l’intérieur comme à l’extérieur. Mais cela est peu de chose en comparaison des dégâts causés à la référence que sont et que prétendent être les Etats-Unis en matière démocratique.

    Le pays qui prône la démocratie avec le plus d’assiduité a trébuché sur sa capacité à respecter le vote, et très spécialement semble-t-il, le vote des minorités défavorisées.

    Comment dès lors sera-t-il possible aux Etats-Unis de servir d’exemple aux pays qui peinent ou rechignent à instaurer chez eux un système démocratique ? Il sera toujours possible à ces derniers d’arguer que l’actuel président ne doit pas son élection à la vérité des chiffres, mais à  des arguties juridiques et à la partialité des juges.

    L’intrusion de la justice dans la querelle électorale aurait pu être une garantie du choix des électeurs. Ce fut l’inverse. La justice s’est révélée partisane. Le jugement de la Cour Suprême a reflété la ligne de partage des opinions personnelles qui passait entre les juges. Le Droit ne serait-il pas au-dessus des partis ? A-t-il encore un caractère objectif ?

    L’élection de M. Bush n’a de légitimité que celle que lui ont donnée les juges non pas selon le Droit mais selon leur préférence majoritaire, ce qui laisse la porte ouverte à des abus.

    Une nation qui se veut un modèle de démocratie et qui ne cesse de proclamer la vertu de la démocratie et le respect des droits de l’homme partout dans le monde – et le respect du vote émis en fait partie - se doit de remédier à ses failles au risque de perdre son crédit.

     

    Ce feuilleton américain prête à sourire et même à rire, mais on ne peut pas en rester là étant donné le poids et la responsabilité des Etats-Unis dans le monde actuel.

    Les institutions humaines sont toutes fragiles, surtout lorsqu’elles favorisent la liberté et le respect de l’homme. Il convient de ne pas les laisser dériver.

    Le message qu’une nation veut faire passer au monde ne peut avoir de poids que si cette nation est rigoureuse pour elle-même. Les Etats-Unis vont sans doute être conduits à vérifier leurs institutions afin qu’en toute occasion le Droit ait le dernier mot, même si la loi se prête aux interprétations personnelles comme le fait la lecture de tout texte écrit.

    Nous pouvons d’ailleurs supposer que les juges de la Cour Suprême ont réfléchi sérieusement et gravement chacun pour sa part, même si le résultat de leurs délibérations montre qu’ils n’ont pas su dépasser leurs clivages naturels. Faute d’une loi claire ?

    N’est-ce pas ce même danger que nous voyons surgir chez nous avec le traitement des « affaires », des magistrats étant suspectés en raison de leurs préférences politiques ? Mais est-il possible et même souhaitable qu’un juge n’ait pas d’opinions ? Jugera-t-il mal pour autant ? Ne saura-t-il pas s’élever au-dessus de ses propres inclinations ?

    Le juge a une responsabilité considérable à une époque où il apparaît comme un personnage tout-puissant, le recours ultime, celui qui réprime les abus. Mais il est serviteur d’une Loi qui le dépasse et qui a été écrite et promulguée par d’autres, les représentants  du peuple.

     

    Maintenir l’équilibre des pouvoirs dans la Cité : la démocratie est à ce prix.

    fr. André LENDGER


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  • Le désir fait partie de notre vie. Il en est un des moteurs principaux.

    Il signifie l’insuffisance radicale que nous avons à l’égard de nous-mêmes. L’homme a besoin de quelque chose ou de quelqu’un d’autre que lui-même pour combler son manque.

    La division sexuelle rappelle à chacun son besoin de l’autre. Elle est à la source de l’amour qui naît de la satisfaction de la présence de l’autre et apporte une plénitude d’être.

    Mais l’amour est un sentiment fragile car il implique l’adhésion de deux libertés.

    Tout le monde n’a pas en lui la liberté suffisante pour se donner à l’autre de façon purement oblative, sans chercher à le ou la posséder. Trop souvent l’amour peut se résumer à la capture de l’autre, au piège que nous lui tendons, au filet dans lequel nous l’emprison-nons, le plus souvent en toute bonne foi, aveugles que nous sommes sur nous-mêmes.

    Inconsciemment nous réduisons l’autre à l’état d’objet. Ce que nous désirons, c’est un être soumis, un être dont on puisse dire « il est à moi ». Mais s’approprier quelqu’un, n’est-ce pas tuer son désir ? Car l’amour n’est possible qu’entre deux êtres libres qui se cherchent, se perdent et se retrouvent constamment. La possession de l’autre est une assurance morte.

     

    Dieu veut être aimé par des êtres libres.

    Toute relation avec Dieu est donc une relation dans laquelle s’écrit une histoire d’amour avec ses élans, ses complications, ses dérobades, ses mensonges, ses réconciliations.

    Il est toujours possible à l’homme de prétendre réduire Dieu à l’état d’objet et de le rejeter dans le domaine de l’utilitaire, que ce soit pour une guérison ou une bienfaisance.

    Mais Dieu est libre. L’homme peut bien imaginer son rapport à Dieu selon ce qui l’arrange ; il peut faire tout ce qui est en son pouvoir pour que Dieu cède à sa demande, Dieu reste souverainement libre. Non que Dieu ne veuille pas guérir et sauver l’homme. Mais il n’agit pas sous la contrainte, sous la pression, comme si nous voulions le soumettre à l’épreuve, le mettre en demeure, ce que l’Ancien Testament appelait « tenter Dieu ».

    Cela ne veut pas dire que l’homme n’ait pas à désirer Dieu. Bien au contraire, toute la tradition biblique nous permet de reprendre les paroles du psalmiste : « mon âme a soif du Dieu vivant ». Mais désirer Dieu n’est pas le mettre à notre merci ; c’est exprimer notre foi que lui seul peut nous sauver, à sa manière, quand il veut, à l’heure qui est la sienne.

    Hommes libres, laissons à Dieu sa liberté. Reconnaissons-la et aimons-la. Consolidons notre propre liberté, sachant que notre libre rapport à Dieu ne peut être sans conséquences sur notre libre rapport aux autres. Etablissons une libre alliance avec Dieu et avec l’autre.

     

    Et Jésus est venu.

    Dieu a entendu l’appel des hommes et il est venu librement vers eux, établissant avec eux une alliance irréversible dans la chair, au-delà de toute espérance humaine.

    Vingt siècles plus tard, il est venu et il ne cesse de venir et d’être là, répondant à la soif de salut des hommes. Mais quelle est notre soif, à nous hommes de ce siècle ? Gavés de biens matériels, alourdis par eux, avons-nous encore le désir du salut proposé par Dieu, un salut qui est une vie engagée au service de la paix, de la justice et de l’amour ? 

    Si le salut, tel que Dieu le propose, est destiné à des hommes libres, à quelle liberté s’adresse-t-il en nous ? Ne sommes-nous pas dépendants d’un système d’appropriation des biens matériels ? Ne sommes-nous pas toujours inassouvis ? Nous avons désappris la gratuité qui rend libres. Aspirons-nous à aimer autant qu’à être aimés, à donner autant qu’à recevoir, à nous déposséder de nous-mêmes autant qu’à accueillir le libre don de l’autre ?

    Comment le salut que Dieu propose peut-il être reçu par des hommes à la liberté tronquée ? Comment pourront-ils désirer ce qui paraît, au premier abord, inutile ? Comment pourront-ils répondre à une proposition qui les dépouillera de tout désir possessif ?

    N’est-ce pourtant pas, dans ce monde, la seule façon de faire alliance entre nous et avec Dieu, d’aimer et d’être aimé et de Dieu et des autres hommes et femmes vers lesquels nous porte notre affection ? Réapprendre la liberté intérieure est la seule voie qui permette d’accueillir aussi bien Celui qui vient pour nous que celles et ceux qui viennent à nous.

     

    Le Sauveur vient dans notre chair fragile, il nous sauve de nous-même.

    Avons-nous soif  ?                                                                             fr. André LENDGER


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  • Chaque année les saisons se succèdent, toujours les mêmes et dans le même ordre.

    Chaque année, à quelques semaines de distance, nous retrouvons les mêmes grands moments liturgiques : Avent, Carême, et les mêmes fêtes : Noël, Pâques... Le mot employé pour désigner la régularité de ce rythme est évocateur : un cycle. Cela veut dire que chaque année est semblable à la précédente et que, année après année reviennent, sans qu’il soit possible d’y échapper, comme dans une boucle refermée sur elle-même, les mêmes événements fondamentaux, rappels des mêmes événements fondateurs.

    Lue de cette façon-là, l’histoire ressemble à un recommencement permanent qui justifie le dicton à la connotation pessimiste : « rien de nouveau sous le soleil ».

    De guerre en guerre, de catastrophe en catastrophe, l’humanité avance péniblement vers un bonheur improbable, qui semble s’éloigner de plus en plus, au point que l’histoire elle-même semble perdre tout sens autre qu’apocalyptique, et aller droit  vers son anéantissement.

    Cela correspond à l’expérience de la plupart de ceux qui ont imaginé des lendemains meilleurs et qui se retrouvent souvent en échec dans leurs projets et leurs espérances.

     

    On peut au contraire se convaincre que l’histoire est en marche et que nous construisons laborieusement un monde plus vivable et plus humain.

    Depuis les temps les plus reculés, les conditions de la vie se sont transformées. Le rythme de la vie a changé, les loisirs se sont développés, les tâches les plus pénibles ont été allégées, les déplacements ont été facilités, les relations ont pu se multiplier à l’infini. Tout cela est dû à des progrès techniques qui sont l’œuvre de l’homme. Les règles qui régissent les sociétés se sont, elles aussi, améliorées : la justice est devenue plus juste, la vie sociale s’est développée grâce au dialogue, le gouvernement des Etats est désormais sous le regard des citoyens qui sont appelés à voter, la démocratie remplace les tyrannies.

    Bien sûr, rien de tout cela n’est encore parfait. Il reste des progrès très sensibles à faire. Mais ceux qui ont été accomplis l’ont été au bénéfice de tous.

    Vue sous cet angle, l’histoire revêt l’aspect d’un progrès qui n’est pas linéaire, qui connaît des hauts et des bas, des reculs et des avancées, mais qui demeure bien réel.

    Progrès techniques, amélioration des structures sociales et politiques, cela suffit-il cependant à donner un sens à l’histoire ? L’humanité se dirige-t-elle librement vers un but qu’elle se propose, ou subit-elle une évolution que les techniques lui imposent ?

    L’évolution que nous constatons avec bonheur est-elle aveugle ou maîtrisée ? N’est-elle qu’une apparence qui laisse actuel le dicton qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ?

     

    Qu’il y ait une évolution, cela apparaît difficilement contestable.

    Que cette évolution ait un sens, une direction, ne répond pas à la même évidence.

    Ou bien le sens est donné, mais par qui ? ou bien il est subi, mais où nous entraîne-t-il ?

    Nous pouvons observer que l’homme ne change pas : il demeure soumis à des pulsions, il cède sans cesse à la violence, à la haine, il excelle à détruire… Sur ce chapitre-là, l’homme n’a fait aucun progrès et toutes les nouveautés techniques sont et seront utilisées un jour ou l’autre pour satisfaire son agressivité et son instinct de mort.

    En ce sens-là l’histoire n’est que la répétition des folies de l’homme, toujours plus meurtrières, dont le sommet que constitue la « shoah » pourrait bien être dépassé un jour.

    Cependant le progrès signifie que l’homme tente, par tous les moyens, de se dégager de la gangue matérielle dans laquelle il est immergé et de faire le pari de l’esprit.

    La question devient alors : vers quel futur l’esprit de l’homme le pousse-t-il à agir ? est-ce en vue d’une autosatisfaction narcissique et mortifère ou pour le service de l’humanité ?

    La réponse à ces questions ne se découvre pas au terme d’analyses scientifiques.

    Seule l’idée qu’on se fait de l’homme permet d’avancer avec prudence dans le maquis des idéaux humains. L’homme mouton, objet, moyen, raisonnable, libre créature de Dieu ?

     

    Une année passe, une année vient. L’homme avance, éternellement semblable à lui-même, éternellement tendu vers un dépassement de lui-même pour atteindre son but : l’humanisation pour les uns (mais quel contenu donner à ce terme ?), Dieu pour les autres.

    fr. André LENDGER


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