• Dieu, nul ne l’a jamais vu, mais les hommes, eux, ont besoin de voir et de vérifier.

    Dieu est invisible et se situe au-delà de toute approche sensible ; mais l’homme a été doté d’une raison et d’une sensibilité qui l’appellent à éprouver ce qu’il pense et ce qu’il croit.

    Pour se ménager cet accès à ce qu’il croit être la vérité, l’homme a besoin de signes sensibles, paroles et gestes que tous comprennent. C’est ce qu’on appelle le rite.

    Le rituel est l’organisation de ces signes, selon des règles constantes, pour que les personnes auxquelles ils s’adressent y reconnaissent leurs idées et leurs convictions : le rite (geste et paroles) permet aux fidèles de telle religion, secte ou groupe - de quelque nature qu’ils soient – d’exprimer leur unité. Le rite rassemble les hommes et donne sens à leur vie.

    Le rite fait référence à ce qui dépasse la personne dans son individualité : la personne est saisie, par le rite, dans ce qu’elle a de commun avec d’autres personnes qui peuvent lui être étrangères en tout, sauf dans la foi exprimée par le rite. Quelle que soit sa langue ou sa race, un chrétien comprend les signes rituels qui lui sont proposés : il en va ainsi des fidèles de toute religion et même de groupements qui professent l’exclusive suprématie de la raison.

    L’homme ne peut se passer de signes rituels.

     

    Que signifient les signes et les rites ?

    Ils sont naturellement liés à ce qui n’est pas connaissable par la raison et donc à ce qui est en rapport avec le mystère de la vie et de la mort. C’est pourquoi tous ceux qui se prévalent de quelque pouvoir occulte y ont recours, comme si les puissances de l’au-delà ne répondaient qu’à certaines paroles ou certains gestes comme à autant de mots de passe.

     Même ceux qui se réunissent au nom de la seule raison ne peuvent le faire que dans la mesure où ils font un acte de foi – et donc un acte déraisonnable, dénué de raison – en la raison, car la raison ne peut pas rendre compte à elle-même de ce qu’elle est.

    La raison est obligée, pour ceux qui veulent lui rendre un hommage exclusif, d’avoir elle aussi recours à des rites, à la façon des religions, pour se dire ou se convaincre qu’elle est toute-puissante. La Révolution française n’avait-elle pas instauré un culte à la raison ?

    Tout rituel est destiné à faire signe pour nous et entre nous. Il ne nous est pas dicté par quelque puissance occulte et tatillonne, fut-elle divine. Ce sont les hommes qui l’instaurent comme une nécessité lorsqu’ils sont réunis au nom d’un au-delà d’eux-mêmes.

    Mais le rituel accompli de la façon la plus scrupuleuse ne nous assure jamais que nous avons atteint cet au-delà. Tout dépend de l’engagement intérieur de la personne dans son rituel. Où est son cœur ? Un réel désir de Dieu ou une assurance ?

     

    Les rituels des monothéistes ont une particularité : quelle que soit leur variété, parfois à l’intérieur de la même foi, ils sont en relation à des paroles et à des gestes dont les fidèles croient, d’après leurs Ecritures, que Dieu a été l’initiateur.

    De tels rituels sont donc perçus comme ayant un enracinement divin. C’est peut-être la raison pour laquelle ils sont sobres. Dieu s’est d’abord impliqué dans le rituel. Le rituel n’est donc plus une condition que Dieu nous aurait imposée, mais un chemin conseillé pour Le rencontrer parce que c’est celui qu’Il a suivi Lui-même pour venir à notre rencontre.

    Ce rituel n’est pas un effort désespéré de l’homme pour rencontrer Dieu. Dieu n’exige pas de nous des actes héroïques ou des observances compliquées. Il fait mieux. Il se rend Lui-même présent au cœur du rituel. Nous ne L’y rencontrons que parce qu’Il y est déjà.

    L’homme, en effet, aura beau tenter d’aller à la rencontre de Dieu, il n’atteindra son but que si Dieu Lui-même a déjà fait la démarche de venir à la rencontre de l’homme. Le rituel est donc le mouvement par lequel l’homme découvre un Dieu qui S’est déjà donné.

    Ainsi du rituel chrétien. L’eucharistie est, pour un chrétien, le sommet de cette rencontre, puisqu’elle met le croyant en relation non seulement avec la personne du crucifié-ressuscité – comme d’autres religions le font avec leurs divinités -, mais avec l’acte même par lequel il a sauvé le monde, un acte dans le temps et au-delà du temps.

     

                Alors que les vivants multiplient les cultes des morts (Halloween et autres) , il est bon de se rappeler, dans leur foisonnement, celui qui en est le centre.

    fr. André LENDGER


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  • Avoir la foi n’est pas entrer dans un univers d’où serait bannie toute pensée sous le prétexte qu’elle ne surgit pas au terme de démonstrations intellectuelles.

    La foi doit pouvoir rendre compte d’elle-même quand elle est attaquée ou caricaturée.

    C’est là l’œuvre de la raison, une raison qui, malheureusement, fait cruellement défaut dans un monde où ce qui compte est la soi-disant spontanéité de l’affectif.

    La capacité de réfléchir et de raisonner s’est comme endormie.

    Faute de faire confiance à l’intelligence et d’oser nous confronter aux questions qu’elle nous pose, par manque d’assurance et par peur, nous nous réfugions dans l’irrationnel et le sensible : prières, pèlerinages, petits groupes chaleureux, rites, chants, exorcismes.

    En soi, cette démarche ne comporte rien de mal. Prières et pèlerinages en groupes restreints ou en foule, sont une tradition millénaire et sont nécessaires. Car nous sommes des êtres de chair et la foi ne peut faire fi de la part sensible de nous-mêmes qui s’exprime par là.

    Mais si ce type de démarche devient exclusif, s’il aboutit à faire l’économie de tout effort de réflexion personnelle, ne risque-t-il pas de n’être qu’une fuite, parfois même une drogue ? on tourne le dos au monde et on s’en désintéresse.

     

    On voudrait ressentir sa foi. Est-ce cela la vivre ? N’est-ce pas verser dans l’illusion?

    On parle de plus en plus souvent du diable. Lui, le rusé, ne serait-il pas présent justement dans ce type de démarche qui nous retire du combat ? Ne nous endort-il pas en nous faisant croire que le fruit que nous cueillons ainsi nous ouvre la porte du salut ? Ce fruit, si bon à manger et agréable à voir, ne nous enferme-t-il pas définitivement sur nous-mêmes ?

    Ce que nous ressentons, est-ce la présence de Dieu à nous-mêmes ou l’apaisement que procure une plongée en apnée dans une prière qui apaise comme le ferait une drogue ?

    Nous trouverons toujours quelqu’un pour donner des interprétations spirituelles aux sensations que nous pouvons avoir. Nous contentons-nous de ces réponses ? Ne craignons-nous pas qu’elles soient parfois, comme les horoscopes, des leurres endormants ?

    Tout ce qui relève de la sensibilité exige analyse. La sensibilité nous ouvre au monde de la création et au monde de Dieu. Elle est une grâce, elle peut être un piège : parfois nous croyons percevoir une image divine en nous, et nous ne faisons que regarder notre propre image dans un miroir déformant. Ce n’est pas le vrai moi que nous voyons. Puisse au moins notre sensibilité nous introduire à une meilleure connaissance de nous-mêmes dans la clarté.

    En aucun cas nous ne pouvons nous dispenser de réfléchir et de passer au crible ce qui relève de nos puissances affectives ; le crible peut provenir du regard les autres, mais il doit obligatoirement passer par notre propre jugement avant d’être finalement entériné.

     

    Ces remarques s’imposent dans une société qui repose sur des images et des sensations, virtuelles ou non, dans lesquelles la raison n’est pas immédiatement impliquée. Le danger réside là, car c’est la personne seule qui, finalement, doit décider et choisir. Mais sur quel critère choisir quand la raison elle-même est dominée par l’affectivité ?

    Il en va ainsi dans la vie de tous les jours, il en va ainsi avec Dieu. Nul ne peut se passer de sa sensibilité pour accéder à Dieu, mais nul ne peut se reposer exclusivement sur les impressions qu’elle lui transmet pour apprécier la proximité de Dieu ou son action en nous.

    Jouer sur la sensibilité en matière religieuse représente un risque. Nous devons éviter d’y avoir recours pour soi et pour les autre. Mais si la sensibilité domine déjà la raison, il ne faut pas lui faire violence mais la guider, car tout l’équilibre de la personne repose sur elle.

    Il convient de garder le souci constant de faire émerger la lumière de la raison pour se libérer de ce qui peut être un emprisonnement tel qu’il mène parfois au crime.

    Dans le dédale affectif contemporain il est urgent de redonner sa place à la raison si l’on ne veut pas multiplier les dérives religieuses que représentent non seulement les sectes mais la tentation sectaire de ceux qui cherchent avant tout un refuge sensible dans la religion.

    Leur démarche est estimable, parce que chacun a besoin d’un appui affectueux dans sa recherche de Dieu et de soi. Mais elle est insuffisante et peut aboutir à des impasses fatales.

     

    Réhabiliter la raison dans la démarche de foi représente une urgence contemporaine.                                                                                            fr. André LENDGER


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  • La Cour de Cassation a rendu, le 17 novembre, un arrêt fort important et contesté autorisant le versement d’indemnités à un jeune homme de 17 ans qui aurait dû ne pas naître.

    L’affaire est simple et cruelle : une erreur médicale certifie à la mère de cet adolescent qu’elle n’est pas atteinte par la rubéole et qu’elle peut continuer sa grossesse, après qu’elle ait émis son intention d’avoir recours à une IVG dans le cas contraire. Quelques mois après la naissance, l’enfant présente des symptômes que les médecins attribuent à la rubéole. Aujourd’hui l’enfant est lourdement handicapé et le restera à vie.

    La Cour de Cassation a relevé la relation entre le diagnostique erroné et la situation de l’enfant contraint de vivre avec un handicap qui le met en dépendance d’autrui. Elle lui a accordé une indemnité qui le mettra à l’abri de défaillances privées ou publiques à l’avenir.

    Que représente cette indemnité ? La Cour a estimé que l’erreur médicale avait atteint directement les parents (déjà indemnisés), mais qu’elle avait atteint également l’enfant : celui-ci ne serait pas né si les parents avaient su la maladie de la mère. L’indemnité signifie-t-elle qu’on reconnaît à l’enfant le droit qu’il aurait eu de ne pas naître, le droit de demander justice du fait d’être né et en vie, et de l’être de cette façon, une vie qu’il doit subir avec un lourd handicap, une vie à laquelle il n’aurait jamais eu accès sans cette faute initiale ?

     

    Le débat est grave et l’arrêt de la Cour de Cassation semble prendre à contre-pied nos discours habituels sur le côté sacré de la vie, de toute vie, quel que soit l’état du vivant lorsqu’il s’agit d’un être humain. Un trisomique a la même valeur qu’un être en bonne santé.

    On a craint que l’arrêt dise que le simple fait d’avoir un handicap suffit à lui seul pour légitimer un dédommagement à être né. Mais cela n’est vrai, selon la C.C., que dans la mesure où ce handicap est la conséquence directe d’une erreur sans laquelle il y aurait eu l’expulsion du fœtus, la mère refusant justement le risque de donner naissance à un enfant handicapé.

    Cet enfant ne devrait pas être là. Mais il est là et clame qu’il n’a pas demandé à naître, lui qui aurait dû ne pas naître. Il subit un dol radical non pas du seul fait d’être là, mais d’y être, obligé de vivre une vie biologiquement dégradée à la suite d’une faute humaine. Sa vie demande réparation : réparation d’être, lui qui aurait du ne pas être, et d’être de cette façon-là.

    L’arrêt de la Cour de Cassation est légitime dans sa rigueur juridique. Il tire toutes les conséquences de l’erreur médicale et intègre le droit, reconnu et protégé par la loi, que représente désormais l’IVG. La femme s’est trouvée détournée sinon empêchée d’exercer ce droit du fait de l’erreur de diagnostique. L’arrêt est restrictif et  s’applique à un cas strict dans lequel nous trouvons : erreur initiale, non interruption involontaire de grossesse, handicap.

     

    Cette logique choque notre éthique, spécialement si nous sommes chrétiens.

    Mais la Cour de Cassation est-elle destinée à faire prévaloir une éthique marquée par l’humanisme chrétien ou à interpréter et expliciter le Droit, tel qu’il ressort de nos lois ?

    A l’évidence, elle a pour mission de dire le Droit, à telle enseigne qu’elle n’a pas suivi les arguments de l’avocat général qui visaient, au nom d’une vision de l’homme, à ne pas accorder l’indemnité. C’est dire le débat de conscience auquel ont du se livrer les magistrats !

    Si le Droit y gagne en clarté, si la société civile laïque voit mieux l’étendue de ses prérogatives, l’humanisme – chrétien ou pas - y perd beaucoup à nos yeux.

    Ce n’est pas d’aujourd’hui que nous savons que la vie peut être si malheureuse qu’elle peut être assimilée à un malheur tel qu’on se demande si elle peut être vécue : Job, Jérémie, les innombrables anonymes victimes de handicaps, quelle qu’en soit la cause, n’ont cessé de le crier à la face du monde. Le malheur aussi doit être accueilli par l’homme.

    Mais qui souhaite que le malheur survienne dans sa vie, surtout lorsqu’il s’agit d’un malheur qui aurait pu et du être évité ? Qui, au fond de soi, ne comprend la démarche de ces parents qui se sont acharnés à faire inscrire dans le Droit l’histoire de leur souffrance ?

    Il n’empêche ! Il existe d’autres méthodes pour faire reculer malheur et souffrance. Elles s’appellent la compassion et l’accueil de l’autre quel qu’il soit.

     

    Le Droit détermine les obligations des acteurs sociaux dans la société laïque contemporaine. Il laisse toute la place à notre sens évangélique de l’accueil et de la solidarité. Mais quel usage en faisons-nous ?                                                    fr. André LENDGER


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  • L’adoption de la loi sur l’IVG à douze semaines, le projet de loi sur la bioéthique autorisant entre autres l’utilisation d’embryons dits « surnuméraires », peuvent inquiéter un certain nombre de consciences. Si aujourd’hui le clonage des êtres humains semble exclu, rien ne dit qu’un jour ou l’autre la tentation de l’expérience ne l’emportera pas sur l’interdit de la loi. Cela correspondrait à la logique transgressive de l’homme dans son rôle créateur.

    La question centrale est celle-ci : de quelle façon l’homme s’appréhende-t-il lui-même dans son être le plus intime et le plus profond ? L’homme ne se considère-t-il pas comme son propre champ d’expérience ? Il joue avec sa nature, l’utilise, la transforme comme il le ferait avec un objet qui lui serait extérieur et étranger. A ce compte-là, un embryon, ébauche d’une vie humaine, se trouve avoir une valeur moindre qu’un cadavre, voué pourtant à redevenir poussière. On immortalise et on honore un corps retourné à la matière inerte tandis qu’on « bricole » et qu’on broie la promesse de vie. La chair de l’homme n’aurait-elle de valeur qu’en fonction du nombre des années passées sur cette terre, quoi qu’il en soit de l’amont ?

    Tous les sacrifices sont bons, y compris la suppression des vivants à venir, pourvu que soit garantie l’intensité narcissique de l’instant présent.

     

    Peut-il en aller autrement ? L’enfant à naître demeure un bien précieux. Mais l’évolution des techniques, qui permet de conserver de façon quasi éternelle des « enfants possibles » à l’état embryonnaire, transforme notre rapport à ces premières cellules de vie humaine.

    Les embryons congelés sont déjà des vivants, mais ils demeurent en attente d’un corps féminin pour les accueillir, se développer et devenir des êtres humains au plein sens du terme. Abandonnés au cours du processus premier de leur développement, ils se retrouvent sans avenir. Ils sont là. Ils ne bénéficient d’aucun statut qui les assimile à des humains au plein sens du terme. Qu’en faire ? les supprimer ? les utiliser à des fins scientifiques dans le but d’améliorer les conditions de vie de nombreux hommes et femmes victimes de maladies aujourd’hui incurables ? Même si leur utilisation éventuelle en vue d’un clonage demeure strictement interdite, ces cellules seront manipulées comme des objets « sans âme », dont le rapport à l’homme ne sera pas lié à leur origine, mais à la finalité que leur donneront la recherche et les grandes firmes pharmaceutiques avec, au terme, l’inévitable profit !

    Les travaux scientifiques sur l’embryon ont déjà commencé en de nombreux pays. Ne pas s’engager dans cette direction, c’est choisir d’être rapidement dépassés dans la recherche scientifique sur laquelle repose une grande partie du développement économique.

    Consulté, le Comité National d’Ethique a donné son aval aux travaux scientifiques à partir de l’embryon, tout en les maintenant dans un cadre strict.

     

    Les lois concernant les recherches en bioéthique seront votées dans quelques mois. La réflexion théorique a été menée aussi loin que possible par le Comité National d’Ethique, sachant que les conceptions anthropologiques des différents membres ne sont pas identiques.

    Que représente l’avantage économique et le progrès technique si les décisions que nous prenons aujourd’hui donnent naissance demain à des sociétés dans lesquelles l’homme se concevra lui-même uniquement en termes de satisfactions matérielles ou eugéniques ?

    Les catholiques émettront des réserves à l’endroit de ces textes en raison de ce qu’ils impliquent sur la conception de la personne humaine : non seulement sur le traitement des embryons en eux-mêmes, mais sur les conséquences à long terme du regard que nous portons sur l’homme en général, sur le type de société à venir et sur le genre humain.

    Mais nous sommes dans une société pluraliste. Les opinions y sont naturellement multiples et ne peuvent plus s’imposer sous la forme contraignante de ce que nous appelons une idéologie. Le débat qui s’instaure ne peut aboutir à la victoire d’un camp sur un autre. Il convient donc de discuter et d’approfondir chacun sa pensée, de marquer les limites au-delà desquelles commence le désaccord, de les explorer et non de partir en croisade.

    L’écueil est double : celui de se durcir dans des positions qui interdiraient toute recherche théorique, et celui de s’incliner devant la toute-puissance de la science.

     

    Tout homme est nécessaire pour construire un avenir pour l’homme.

    fr. André LENDGER


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  • Personne n’est obligé de croire au Satan. Il ne figure pas dans les articles de foi.

    Comment d’ailleurs pourrait-on croire en un être qui, par définition, est signe et source de mal, de mort et de néant ? Croire, c’est faire confiance en quelqu’un dont on reconnaît la présence aimante en nous, qui est source de vie et qui est la vie. Nous pouvons croire en Celui sans lequel nous ne serions pas, Lui qui nous arrache aux forces de décomposition. Le mot « croire » ne signifie pas : « je suppose », ou « peut-être ». Il implique la fidélité et l’adhésion, une adhésion d’amour. Ceux qui s’aiment croient aux paroles d’amour qu’ils échangent, des paroles qui trouveront leur vérification au long des jours.

    Dans ce sens-là, nous n’avons pas à croire au Satan. Ce serait adhérer à celui qui se présente comme l’Ennemi et l’Adversaire. Tout au plus pouvons-nous déduire sa présence et son activité de l’expérience que nous avons du mal et du malheur en nous et autour de nous.

    Le Satan ne nous est connaissable que par le mal dont souffre chaque personne humaine et l’humanité prise dans sa globalité. Il s’agit d’une connaissance purement négative, car elle est associée à un manque, le manque de plénitude et de bonheur auxquels on aspire.

    S’il n’est demandé à personne de croire au Satan, s’il est préférable de ne pas être de ses fidèles, nul ne peut malheureusement éviter de faire l’expérience de sa présence.

     

    Ecrasées par leurs souffrances, leurs déséquilibres intérieurs, leurs épreuves, beaucoup de personnes ont le sentiment d’être habitées, possédées par l’esprit du mal, d’être en quelque sorte une proie, une victime dont le Satan s’amuserait.

    Le terme de « possession » doit être reçu avec beaucoup de prudence car il fait le plus souvent référence à des manifestations spectaculaires, comme si le Satan s’emparait d’une personne en particulier et la torturait pour montrer sa puissance au vu et au su de tous. Une telle possession serait plutôt de l’ordre de l’acné, une irritation bien visible et superficielle

    Sans nier l’importance de ce phénomène, nous ne pouvons pas en rester à une vision aussi restreinte de l’action du Satan. Il convient de la resituer dans un ensemble plus large, celui de la présence du Satan dans la vie de chacun et dans la vie du monde.

    Nous devrions être plus inquiets de sa présence au cœur de la plupart de nos actions et de nos décisions, sinon de toutes. Nos intentions sont généralement bonnes et pourtant il arrive souvent que ce que nous entreprenons non seulement tourne mal mais fasse du mal, comme si quelque démon s’ingéniait à tout faire dériver vers l’échec ou la souffrance d’autrui.

    Ne serait-ce pas une conséquence de ce que nous appelons le péché d’origine, qui a replié l’homme sur lui-même au lieu de l’ouvrir à Dieu et qui fait qu’aucune action, si généreuse se veuille-t-elle, ne peut éviter, dans sa racine, d’être inclinée vers le mal ?

     

    La puissance du mal ne se limite pas aux difficultés rencontrées par des personnes privées. Elle est à l’œuvre dans la vie des nations et dans les relations internationales.

    La pauvreté, les guerres, la délinquance… ne sont pas seulement des phénomènes sociaux ; elles sont la manifestation de la présence du mal au cœur des hommes, un mal qui accomplit l’œuvre inverse de celle de Dieu : Dieu a créé et organisé le monde pour que l’homme y vive en paix. Le Satan, exacerbant les égoïsmes de l’homme, son appétit à posséder et à dominer, entreprend une œuvre de décomposition du tissu social et politique dont l’aboutissement est la mort des civilisations et des religions, et la mort de l’Homme.

    Des questions urgentes comme les inégalités et l’injustice dans le monde, l’exploitation des pauvres par les riches, le peu d’empressement des pays riches à maîtriser le réchauffement de la planète dont ils sont la cause, sont des témoins autrement plus impressionnants et plus dramatiques de la présence du mal et du Malin que ce que nous appelons les « possessions ».

    En toute circonstance, qu’il s’agisse d’un événement personnel ou d’un phénomène général, c’est bien l’équilibre de la société et l’avenir de l’homme qui sont visés par le Satan.

    La lutte contre le mal commence avec chaque personne qui, appelée à faire des choix et à prendre des décisions, se doit de tenir compte non seulement de ce qui l’avantage mais de ce qui consolide les liens sociaux et permet à d’autres de vivre et de vivre mieux.

     

    Nous balançons en permanence entre la vie et la mort.

    N’entrons pas dans le jeu du Satan, osons l’autre.

    fr. André LENDGER


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