• Jésus, nous dit l’évangile, a jeûné quarante jours et quarante nuits. Il n’a pas accompli ce geste pour faire pénitence puisqu’il a été poussé au désert par l’Esprit. Son jeûne a creusé sa faim. Mais bien vite a surgi une autre faim, d’une ampleur sans commune mesure avec la faim du ventre. Jésus a eu faim et soif d’utiliser son pouvoir de Fils de Dieu pour jeter de la poudre aux yeux, subjuguer les hommes par des prodiges quasi-magiques tels qu’un saut dans le vide ou la lévitation, et s’attribuer un pouvoir politique sans limites, sans aucun bénéfice pour qui que ce soit sinon lui. Cela s’appelle les tentations.

    On n’est tenté que par ce qu’on ne possède pas. Dans le désert Jésus a regardé en face les actions d’éclat qui étaient à portée de sa main. S’il avait cédé aux tentations, il aurait été divinisé par les hommes, mais il aurait déchu de sa condition d’Homme-Dieu. La faim du ventre permet à tout homme une lucidité nouvelle sur ses autres faims, l’ambition, l’arrivisme, l’attrait d’une gloire qui fait de nous des dieux aux yeux des simples, tandis qu’on les opprime.

    Le jeûne de Jésus, comme tout jeûne, s’accompagne d’un manque immédiat, la faim. Sa faim est gigantesque, à la dimension du regard universel qui l’habite. Elle prend l’aspect d’un délire de toute-puissance humaine, temporelle. La faim fait miroiter à Jésus ce que lui propose le Tentateur. C’est désirable. L’homme Jésus en retirerait gloire. A lui la gloire. Mais quelle gloire ? Gloriole, auto-satisfaction, vanité, narcissisme, richesses, harem… puis la mort.

     

    Le jeûne ne se suffit pas à lui-même. L’enjeu de tout jeûne est le choix. Certes, notre jeûne nous rappelle notre faiblesse et notre péché. On peut jeûner pour faire pénitence comme on le fait dans beaucoup de religions. On peut jeûner pour exprimer notre solidarité avec tous ceux qui, de par le monde, n’ont pas de quoi remplir leur ventre. On peut jeûner par désir de nous unir davantage à Dieu. Mais cela suffit-il ?

    Le jeûne est le moment de débusquer et de laisser se manifester nos désirs beaucoup moins avouables vis-à-vis de nous-mêmes et des autres, les désirs auxquels Jésus s’est laissé exposer et qui sont les désirs de tout homme, même de ceux qui en paraissent fort éloignés. Pendant le procès de Patrice Alègre, il a été dit qu’il éprouvait un sentiment de toute-puissance lors de ses viols. Qui ne décèle en soi de telles pulsions, même si elles sont mieux maîtrisées ? Prétendre avoir toujours raison, se livrer à des violences conjugales, maltraiter des enfants, sont des pulsions de cet ordre. En nous sommeille un tyran qui s’ignore. La toute-puissance est également familière aux drogués qui la trouvent dans la drogue.

    Jeûner, ce n’est donc pas simplement se priver du plaisir que nous avons à manger et à boire ; c’est, à partir de là, faire des choix dans notre conduite et dans notre relation aux autres. Il est bon de partager ce que nous n’avons pas consommé avec ceux qui sont dans le besoin. Mais ce partage doit être suivi d’une proximité avec les nécessiteux telle que nous communions à leur manque et à leur faim, ce que nous ne pouvons pas faire du haut de notre suffisance ou de notre toute-puissance. Découvrons alors que le ventre ne suffit pas, mais que la justice exige de faire en sorte que ces hommes et ces femmes n’aient plus jamais faim et qu’ils puissent produire eux-mêmes leur propre richesse économique, quitte à être tentés plus tard, à leur tour, par la toute-puissance narcissique et belliqueuse.

     

    Le jeûne, comme tout exercice ascétique, ne se justifie que s’il permet de parvenir à une meilleure connaissance de soi, à l’amitié avec ses frères et à la rencontre de Dieu.

    C’est un temps que nous nous donnons pour changer quelque chose en nous. Or tout changement a des conséquences relationnelles : soi, l’autre, Dieu. Le changement à obtenir ne doit donc pas se limiter au seul moment du jeûne. Il doit imprégner l’à-venir de notre vie dans les rapports que nous entretenons avec autrui, mon ‘moi’ étant perçu comme un autre.

    Le jeûne permet de voir l’ampleur et la diversité de nos désirs comme autant de faims. Notre désir le plus profond est celui du pouvoir. Faut-il y renoncer ? Non, mais il est préférable de l’orienter de telle sorte que nous le mettions au service des autres et non au seul bénéfice de notre gloire. N’est-ce pas ce qu’a fait Jésus en tournant vers le Père et en en faisant bénéficier les pauvres cette tentation qui l’a habité, sans plus s’occuper de son moi ?

     

    Le jeûne ne consisterait-il pas en un regard lucide sur soi pour mieux s’ouvrir aux autres ? Un jeûne qui doit se prolonger au-delà du Carême pour embrasser toute une vie.

    fr. André Lendger


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  • La dépénalisation de ce qu’on appelle les drogues douces est de nouveau évoquée. Certains pays européens ont déjà franchi le pas. D’autres, dont la France, s’interrogent.

    La remise en question de la politique uniquement répressive vient de la croissance de la consommation principalement chez les jeunes. La grande majorité des jeunes a déjà fumé et continue de le faire, sans conséquences graves pour sa santé physique et psychique.

    Dans ces conditions, est-il nécessaire de mener une guerre perdue d’avance ?

    Tout le monde sait où se ravitailler et la répression fait la fortune des dealers… aussi longtemps qu’on ne les met pas en prison. La police remonte des filières, les détruit en partie, mais chacun sait qu’elles se reforment aussitôt puisqu’il y a beaucoup d’argent à gagner.

    Le danger des drogues douces existe cependant dès que la consommation en devient abusive. Le plaisir causé par la drogue peut ne plus suffire ; pour l’accroître et se jeter dans un état délirant, on l’accompagne volontiers d’alcool ou on se tourne vers les drogues dures.

    Le plus grand nombre des fumeurs se contente d’une consommation d’agrément, raisonnable. Mais d’autres versent dans l’excès, à cause de blessures et de souffrances intérieures causées par la société ou la famille. Ils ont besoin de fuir, d’oublier, de compenser.

    Leurs problèmes demeurant, ils s’emprisonnent dans la dépendance.

     

    L’alcool et le tabac font également figure de drogues. Chacun connaît les ravages causés par l’alcoolisme et le tabagisme. L’un et l’autre tuent chaque année des dizaines de milliers de personnes et coûtent cher à la société. Les alcooliques et les gros fumeurs entrent eux aussi dans un cycle de dépendance difficile à surmonter. Les raisons qui les poussent à l’abus sont les mêmes que celles qui poussent les drogués à l’excès de drogue : ils souffrent, ils cherchent à éprouver une détente, à trouver un surcroît d’énergie, à chasser les idées noires…

    Or l’alcool et le tabac sont en vente libre. En dépit de bien des oppositions, la publicité ne leur fait pas défaut. Certes, tout le monde sait que ces produits de consommation courante tuent (mais avec lenteur), mais pour qui est entré en dépendance et cherche à fuir ses problèmes, ni la crainte de la mort ni le prix dissuasif des produits ne suffisent à l’arrêter.

    Cependant tous ceux qui prennent des boissons alcoolisées ne sont pas alcooliques et tous ceux qui fument ne le font pas avec excès. Leur santé n’est donc pas menacée puisqu’ils sont tempérants, comme le sont la plupart des fumeurs de drogue douce.

    Nous retrouvons, dans l’un et l’autre cas, la même problématique : un produit peut être sans danger ou dangereux selon la consommation qu’on en fait. Le problème se situe davantage du côté du consommateur que du côté du produit.

    Faut-il interdire la drogue douce sous le prétexte que l’alcool et le tabac ne le sont pas ? Toute réponse sera insuffisante si elle n’est pas accompagnée par un travail d’éducation et une réflexion sur la personne humaine, sa dignité et sa responsabilité.

     

    Ne soyons pas naïfs. Tous les témoignages historiques nous apprennent que les hommes ont toujours utilisé des drogues. Celles-ci sont même indispensables pour accomplir certains rites païens ; elles permettent d’entrer en relation avec les divinités et les esprits.

    Dans notre civilisation, les drogues servent surtout à fuir le monde pour se retrouver dans un ersatz de félicité. Nous retrouvons toujours les mêmes motivations : dépasser les limites de ce monde insatisfaisant et avoir accès à des sensations qui introduisent dans un ailleurs. Quitte à rester prisonnier de cet ailleurs insaisissable qui se transforme en enfer.

    La condition humaine, avec les combats qu’elle oblige chacun à mener dans les ténèbres et les contradictions, favorise le recours à la drogue pour atteindre un moment de béatitude, même illusoire. À quoi il faut ajouter l’imperfection de nos sociétés qui pousse nombre de marginaux et de déséquilibrés à essayer de compenser leur exclusion par la drogue

    Peut-être faut-il légaliser les drogues douces : prises à dose raisonnable, elles ne sont pas plus dangereuses que l’alcool ou le tabac, dès lors qu’on a un peu de recul en les prenant.

    Peut-être est-il nécessaire de les interdire : mais cela fait le jeu des dealers et des drogués : violer un interdit social donne un supplément de piment au rituel du‘joint’

     

    Il en sera vraisemblablement ainsi jusqu’à la fin des temps.

    L’homme aura besoin de drogue : supprimons-en une, une autre viendra la remplacer.


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  • Le chômage est une plaie pour nos sociétés. Il engendre toutes sortes d’effets pervers sur l’équilibre économique d’un pays d’abord, sur les personnes ensuite : sentiment d’inutilité, alcoolisme, dépendance, instincts suicidaires, délinquance, marginalisation…

    Une des préoccupations majeures de nos dirigeants est de le faire diminuer et même disparaître, autant que possible. Cela implique que priorité soit accordée par nos dirigeants au domaine économique et aux moyens à mettre en œuvre pour parvenir au but souhaité.

    Créer des emplois demande au moins deux choses : avoir l’argent et avoir des marchés en suffisance pour être assuré que le travail et l’argent ne manqueront pas dans un proche avenir. Il serait suicidaire pour tout le monde, à commencer par les employés, qu’un entrepreneur crée des emplois qui l’amèneraient à faire faillite quelques mois plus tard.

    Aucun Etat ne suppléera l’entreprise lorsque celle-ci sera mal en point, faute de bonne gestion et de prévision. Le chef d’entreprise est responsable devant ses employés et devant la société. Il doit porter en lui non seulement le souci de son entreprise mais le souci du bien commun. De la justesse de ses choix dépend la bonne santé de ses propres affaires mais aussi le développement de l’économie locale et même mondiale (cf. l’Argentine).

    La solidarité entre les nations est telle qu’un désastre ici a des répercussions un peu partout dans le monde (cf. le 11 septembre à New York). Le marché est devenu mondial.

     

    Priorité aux entreprises, soit, mais la tâche de l’Etat n’en est pas moins importante. Dans une économie libérale où la concurrence joue librement, l’économie locale ne doit pas être pénalisée par des charges telles que les prix ne soient plus concurrentiels. A l’Etat d’agir sur les mécanismes tels que les taxes, impôts, prélèvements, pour que les entreprises vivent.

    Plus encore il faut une sorte de révolution culturelle qui conduise l’Etat non pas à ligoter les entreprises par des contraintes mais, en se faisant discret, à les inciter à vivre, à se développer et à croître par elles-mêmes.Que les entrepreneurs entreprennent !

    Les entrepreneurs prennent des risques, financiers pour eux, mais aussi travail pour le personnel qu’ils emploient. Tous sont engagés, au sein de l’entreprise, dans la même aventure. Il est donc nécessaire qu’un dialogues’instaure entre les uns et les autres. Tout dialogue est difficile spécialement le dialogue social. Il ne consiste pas à défendre uniquement ses intérêts immédiats, mais à confronter des visions de l’entreprise à partir de points de vue différents.

    Précisément, on ne peut pas gérer une entreprise, encore moins l’économie d’un pays, en ne se préoccupant que de l’immédiat. Le danger d’une campagne électorale est que, pour attirer des électeurs, on ne parle que du court terme en occultant le long terme. Or bien des promesses électorales sont démagogiques, qui ne visent pas plus loin que l’aujourd’hui.

     

    Le rôle de l’Etat n’est pas de se substituer à ceux qui entreprennent mais de favoriser leur réussite. Si l’Etat veut développer et dynamiser la vie économique du pays, il doit établir des règles du jeu et de justice entre les entreprises, entre elles et lui, entre elles et les travailleurs. Il doit cependant rester à sa place, laissant les unes et les autres à leur liberté.

    Il est en effet souhaitable de ne pas faire appel à l’Etat à la moindre difficulté. L’Etat n’est pas là pour régler tous nos problèmes mais pour créer et garantir des espaces de liberté et de dialogue. Il doit cependant se préoccuper des exclus et aider à leur réinsertion dans le circuit économique et social. Il doit le faire tout en évitant de les rendre dépendants, car la dépendance habitue à baisser les bras et fait ressembler à un malade sous perfusion.

    Le but de toute activité économique n’est pas seulement de créer de la richesse (valeur ajoutée), mais de permettre à chaque personne de parvenir à son plein épanouissement. Par le travail d’abord ; quel qu’il soit, il nous donne notre dignité, nous rendant autonomes et donc libres. Mais aussi, par les loisirs que nous laissent nos horaires de travail. A nous de les utiliser pour développer toutes nos virtualités physiques, intellectuelles et spirituelles.

    L’ Etat n’a pas pour responsabilité d’assurer le bonheur de chaque personne, mais de le permettre en posant des limites et des droits à chacun tels que les riches ne s’enrichissent pas au détriment des pauvres et que les pauvres ne soient pas réduits à la mendicité.

                                         

    Le travail est un accomplissement pour l’homme qui ne se trouve lui-même que dans la rencontre avec l’autre, mais aussi dans la confrontation avec un monde à transformer.


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  • La crise malgache est loin d’être terminée et notre pays y est mêlé, semble-t-il, de la pire façon. La France est accusée de soutenir Didier Ratsiraka. A cette prise de position se trouveraient mêlés de puissants hommes d’affaires, ainsi que d’importants hommes politiques.

    Bien sûr il faut faire la part des rumeurs, des rancœurs, des espérances déçues et de l’histoire qui a tissé des liens complexes mais confiants entre les deux peuples.

    Si personne ne peut apporter aucune preuve des accusations portées contre notre pays, le manque d’imagination et le silence de nos autorités ne font qu’accréditer la rumeur.

    Tout le monde sait que notre pays a eu l’habitude d’acquiescer aux résultats d’élections frauduleuses de plusieurs pays africains, ce qui vaut à un certain nombre de dictateurs d’être encore en place. Ces pays n’ont pas bénéficié du soutien actif de la population française, aussi les condamnations de cette politique africaine n’ont-elles jamais dépassé le stade de la parole.

    Il se trouve que Madagascar est à la porte de la France si, comme on ne cesse de nous le dire, la Réunion, c’est la France. La politique de la France à l’égard de Madagascar devrait donc être attentive aux réactions des réunionnais et ceux-ci devraient manifester avec plus de vivacité l’intérêt (qui ne se limite pas aux intérêts financiers) et l’amour qu’ils portent à la Grande Ile et à tous ses habitants au point de peser sur la politique de la France.

     

    Ce qui est en jeu, c’est la démocratie et la justice.

    La position de président auto-proclamé dans laquelle se trouve Marc Ravalomanana ne facilite pas sa reconnaissance par la communauté internationale, c’est un fait. Mais tout le monde sait que les résultats officiels de l’élection ont été falsifiés et que ceux de l’élection suivante l’auraient été tout autant. L’entêtement de Didier Ratsiraka d’exercer sa présidence en exacerbant les différences entre Côtiers et Merinas est encore pluscondamnable puisqu’il divise et crée des conditions d’opposition future entre communautés. Nous savons hélas ! où cela peut mener. Or aucune voix officielle ne s’est élevée contre les paroles et les projets de M. Ratsiraka. Nous sommes donc en droit de nous demander qui a intérêt à soutenir cet homme dans un pays où l’on sait que  la corruption ne connaît aucune limite.

    La communauté internationale, mais plus encore la France particulièrement engagée à Madagascar, doit veiller à ce que le processus démocratique initié par les malgaches eux-mêmes ne soit pas anéanti par la lâcheté et les hésitations qui sont autant de compromissions. Cela reviendrait à enterrer la démocratie qu’on ne cesse d’encourager officiellement et ferait de nous des menteurs et des hypocrites. Nos actes doivent être conformes à nos discours.

    Lorsqu’une question de principe aussi fondamentale que l’avènement de la démocratie est en cause, nous ne voyons pas en quoi nos gouvernants seraient mieux placés que le peuple et spécialement le peuple réunionnais pour en parler. Alors qu’attendons-nous ?

     

    Faut-il attendre que la situation pourrisse, fasse des centaines de morts et divise le pays pour de nombreuses décades avant de trouver une solution démocratique ?

    Que veut dire le discours des médiateurs qui parlent de gouvernement d’union nationale ? La France est vraiment mal placée pour faire la leçon aux autres : pourquoi ne pas demander à Ms. Chirac et Jospin, au lieu de s’envoyer des « compliments », d’unir leurs forces et de faire un gouvernement de salut public. Mais ils le savent bien, l’un finirait par manger l’autre. Soyons sûrs qu’à ce jeu, Didier Ratsiraka, sans aucun scrupule, serait le plus fort !

    Ce serait l’honneur de la France de proposer une solution qui permette aux malgaches d’exprimer leur choix démocratique sans contestation possible. A cela cette partie de la France qu’est la Réunion, dans ses élus et sa population, doit s’employer de toutes ses forces. La France-Réunion, ce ne sont pas les intérêts économiques de quelques entrepreneurs, mais le peuple qui est appelé à regarder au-delà de ses problèmes locaux et à s’engager pour une cause de morale internationale et pour l’honneur de son pays. Les réunionnais ne peuvent oublier qu’ils ne sont parvenus à la clarté démocratique qu’en se battant, en l’imposant.

    Nous ne devons pas nous contenter de dire des gouvernants : « que font-ils ? »

    Nous avons à nous interroger : « que pouvons-nous faire ? » et à nous mettre à l’œuvre

     

    Madagascar a besoin de nous pour survivre.

    La France a besoin de nous pour sauver son honneur.


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  • Les élections pour la Présidence de la République sont proches. Les candidats sont nombreux ; ils représentent un large éventail d’opinions. Chaque électeur devrait être en mesure de trouver le candidat qui correspond à ses préoccupations et à sa sensibilité.

    Mais ne devrait-on pas se méfier de notre sensibilité en matière politique ? La sensibilité est-elle, en ce domaine comme en tant d’autres, un bon critère de discernement ?

    Les candidats, eux, ne manquent pas d’y être attentifs. D’où leurs propositions destinées à séduire ce qu’on appelle l’électorat flottant constitué d’hommes et de femmes qui ont du mal à percevoir les grands enjeux du débat politique et qui ne sont guère sensibles qu’aux propositions qui vont améliorer leurs conditions de vie personnelles. Ces personnes ont du mal à percevoir que leurs problèmes (qu’on pourrait qualifier de «catégoriels») n’ont de chance de trouver une réponse vraie que dans un programme politique plus général.

    Leur horizon ne va guère au-delà de leur mieux-vivre personnel. Leur sensibilité politique est celle de leur bien-être. Etant incapables de s’élever au-dessus de leurs préoccupations immédiates, leur sensibilité les orientera vers celui qui donnera l’impression   de faire sa priorité des personnes âgées, des malades, de l’immigration, de la sécurité...

    Une telle attitude égocentrique est le signe d’une dépolitisation, la politique donnant la priorité au bien de la communauté. L’accent mis sur la sensibilité peut être trompeur.

     

    Il existe une autre forme de sensibilité politique, celle qui s’exprime en gauche et droite. La plus grande partie des électeurs se situent a priori dans l’un de ces deux camps.

    La droite et la gauche ont chacune leur façon d’appréhender les problèmes qui se posent à la société toute entière et donc de les traiter. Par exemple, tous peuvent convenir que l’Etat a besoin d’argent. Mais à quelle catégorie de contribuables s’adressera-t-il ? le choix ne sera sans doute pas le même selon que les gouvernants sont de droite ou de gauche et les conséquences économiques seront différentes. Les 35 heures, par exemple, modifient le paysage économique et social de la France. Une majorité de droite aurait choisi une autre voie

    La sensibilité politique incline donc vers des choix différents qui configureront autrement et pour des décades peut-être, le paysage social et économique d’un pays.

    L’électeur, lorsqu’il en a une, ne peut faire abstraction de sa sensibilité politique. Celle-ci est le fruit de son histoire personnelle, de la place qu’il occupe dans la société, de sa vision de l’homme et du monde. Les grands enjeux contemporains accentuent encore ce clivage.

    Cependant il demeure indispensable de remettre en question ses inclinations dans ce qu’elles ont de trop affectif. La politique est passionnelle certes, mais n’est pas pour autant affaire de sentimentalité. Il est donc indispensable de réintroduire de la rationalité dans notre  sensibilité politique, tout en sachant qu’il est parfois fort difficile de prévoir à l’avance les conséquences des options qui sont prises, car celles-ci peuvent déjouer les prévisions.

     

    La question du choix politique est d’autant plus sérieuse dans l’élection présidentielle que les solutions avancées par les uns et les autres sont proches, sous la double contrainte du contexte économique et politique de notre pays et de la gravité des problèmes mondiaux.

    Ce qui va déterminer le choix des électeurs risque d’être l’irrationalité. C’est d’ailleurs elle qui est explorée par les candidats. Ainsi des propositions choc mais irréalistes telles que SDF zéro ou de promesses tous azimuts (baisse des impôts, sécurité, armement…) ! De même, à propos de la sécurité, on joue sur la peur des gens. Mais quel candidat aurait intérêt à promouvoir une politique qui permettrait d’accroître l’insécurité ? Or ce problème ne peut être traité que par un recours équilibré à la répression et à la prévention, en prenant soin de ne pas empiéter sur la liberté des personnes. C’est là que les points de vue divergent.

    Choisir un candidat parmi d’autres, cela veut dire : parmi tous les candidats, choisir celui qui nous semble le plus apte à résoudre les questions qui se posent au pays, même si les mesures qu’il préconise paraissent douloureuses. Non pas éliminer, comme si les autres candidats étaient sans valeur, mais distinguer celui dans lequel nous nous reconnaissons et dans lequel nous mettons notre confiance. Il est inévitable et peut-être heureux, dans ces conditions, que la personnalité de l’homme et sa conduite morale jouent un rôle décisif.

     

    Ne ratons pas les rendez-vous électoraux ; ils sont le socle de notre avenir.


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