• Tout a été dit sur les problèmes d'éthique politique et d'éthique médiatique.

    Reste que l'homme a voulu faire retourner au néant ce qu'a été sa vie, son combat, son espérance, son action. Exclu et déshonoré, son oeuvre et sa raison de vivre rejetés - du moins l'a-t-il violemment pensé - il a poussé un dernier cri, cri de désespoir et de dérision à l'égard de lui-même, des autres, de l'Autre.

    L'échec vécu par cet homme - à tort ou à raison - sera-t-il l'occasion d'un sursaut ?

    Comment ne pas le souhaiter, tout en sachant que les meilleures intentions ne durent que l'espace d'un instant et que les mauvaises habitudes ont vite fait de réapparaître avec toutes les justifications d'usage.

    La défense de la victime ne s'empresse-t-elle pas déjà de désigner de nouveaux coupables quand il faudrait se taire ?

     

    Le suicide de Pierre Bérégovoy n'est pas le seul, et il pourrait être utile de le relire à la lumière de trop d'actes semblables.

    Quatre remarques sont ici proposées, qui toutes s'appliquent à ce suicide-ci en particulier et à tous en général et ne peuvent que nourrir l'interrogation de chacun d'entre nous sur lui-même et dans ses relations avec autrui :

     

                - l'extrême vulnérabilité des hommes et des femmes de notre temps. Elle est due aux nombreux stress de la vie courante - une vie morcelée, sans principe unificateur -  aux résonances et aux vibrations causées par les médias, à l'excitation provoquée et recherchée dans de nombreux domaines d'expression. L'art lui-même est devenu agressif, reflet et amplificateur de la désintégration intérieure de chaque personne sans qu'elle ait le temps d'acquérir suffisamment de solidité.

     

                - la dureté impitoyable des hommes les uns pour les autres. Chacun condamne sans appel son prochain pour des erreurs ou des imprudences qui relèvent le plus souvent de la différence entre les personnes et de l'estimation que chacun peut avoir d'une situation. Caricaturer, dénigrer est pratique courante dans tous les milieux. Qu'on soit du peuple ou aux affaires, un tel comportement est lié au narcissisme et au côté définitivement infantile d'une génération en mal de repères.

     

                - l'absence de miséricorde. Chacun a peur de perdre s'il pardonne. Il n'y a place que ú

    pour l'acharnement de l'accusation. Il faut écraser à tout prix,... parfois jusqu'à ce que mort s'ensuive. Non pas au nom de la vérité, de la justice ou de la morale - même si ces notions sont mises en avant pour se justifier - mais au nom de soi-même.

     

                - l'absence ou la faiblesse de la foi de beaucoup. Combien ont une foi suffisamment vive pour se sentir aimés de Dieu même au milieu de la débâcle ? Le tissu religieux de notre société est lui-même si ténu qu'il est difficile de trouver une communauté chrétienne accueillante ou un homme qui permet de prendre du recul. L'écoute - qui devrait être le signe de l'amour de Dieu dans la détresse - devient rare.

     

    Tous les suicides ne sont pas évitables. Mais l'augmentation de leur nombre pose question sur la place de la personne humaine dans les rapports sociaux contemporains :

                - est-il inévitable qu'une régression humaine et spirituelle accompagne les progrès techniques, spécialement les médias qui devraient permettre la rencontre ?

                - est-il inévitable que chacun se trouve plus démuni et solitaire, quand les problèmes se multiplient et se compliquent ?

                - notre société ne fabrique-t-elle pas des suicidaires ?

     

    Pourquoi Pierre Bérégovoy s'est-il suicidé ?

    La réponse ne se trouve ni dans les médias, ni dans la magistrature, ni dans les mœurs politiques seules, mais dans la façon dont chacun d'entre nous se comporte à l'égard des autres, dans tous les milieux et dans tous les domaines.

     

    N'y a-t-il pas contradiction à accuser les tyrans lointains de manquer au respect des droits de l'homme et à ne pas respecter son proche ?

    fr. André LENDGER, o.p.


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