• 8 mars 1998 - Les justes.

    Les justes.

    On n’en parle pas parce qu’ils ne font pas parler d’eux.

    Lorsqu’on en parle, c’est souvent à titre posthume.

     

    Ainsi de ces innombrables hommes et femmes qui refusent de trahir les causes et les solidarités auxquelles ils ont décidé de consacrer leur vie.

    Ils font leur travail sans chercher à se faire remarquer, avec simplicité et droiture.

    Mais qu’on veuille les contraindre à commettre une injustice, ils refusent, sans même chercher à biaiser. L’homme de douceur se mue en résistant non-violent.

    Les justes sont de tous les temps et de tous les pays, mais ils n’éveillent l’attention que dans les périodes de crise, lorsque le choix de leur conscience passe avant leur propre vie.

    Ils ne sont animés par aucune raideur et ils ne prétendent pas à la vérité. Ils sont convaincus que la valeur de la vie réside dans l’adéquation entre leurs actes et leur conscience.

    Ce ne sont ni des entêtés ni des êtres gonflés d’assurance. Ils se savent dépositaires d’une loi supérieure à leur propre volonté, qu’ils ont reçue et qui vient d’ailleurs.

    Le juste ne décide pas de sa justice. Il ne s’en vante pas.

    Justice lui est rendue par les autres, lorsqu’ils découvrent la beauté de son geste.

    Pour lui il est souvent trop tard. On l’a déjà fait disparaître.

     

    Hommage vient d’être rendu à ces justes par un témoin, au procès de Maurice Papon : des hommes et des femmes, sans élever la voix, peut-être frémissants et tremblants à l’intérieur d’eux-mêmes mais fermes dans leur démarche, sans chercher à assurer leurs arrières dans le camp adverse, ont sauvé des vies humaines, qu’importent la couleur, la race ou le sang.

    Ils ont été des milliers sans doute. Ils continuent de peupler notre planète à l’heure où d’autres peaufinent bombes et engins de mort pour le seul plaisir de tuer et de dominer.

    Nous avons tous à devenir des justes.

    La difficulté vient de ce que nous ne pouvons être justes que dans l’ignorance que nous le sommes. Toute auto-louange détruit notre justice, car elle nous fait usurper la place qui n’appartient qu’à l’Autre, qu’on l’appelle Dieu ou autrement, qui seul fait de nous des justes.

    La justice se reçoit comme un don et nul ne peut s’en prévaloir, car la justice est étroitement liée à l’amour qui est lui-même don reçu avant d’être don de soi.

    L’homme juste n’est juste que parce qu’il aime.

    Il ne cherche pas à condamner mais à sauver.

     

    Nous devons nous contenter de vivre dans des sociétés peuplées d’hommes qui ne sont pas plus justes que nous ne le sommes nous-mêmes, même si tous aspirent à le devenir.

    Nous ne pouvons pas empêcher que la rouerie, la séduction ou la démagogie soient plus fréquentes dans la vie publique que l’humble justice. La tentation de se prendre pour Dieu, au moins de se faire prendre pour Dieu est très généralisée. Affirmer : MOI, j’ai la solution. Ce peut n’être que le temps d’un discours. Mais on finit par le croire : Je Suis, MOILe Seul.

    La santé de nos institutions bute sur l’inclination de quelques uns à vouloir jouer à être Dieu et sur la faiblesse des autres, moutonniers, à diviniser ceux à qui ils confient leur destin.

    La justice n’y trouve pas son compte.

    Celui qui aspire à la justice ne s’en étonne pas : il ne peut en aller autrement.

    Il veut que l’homme s’épanouisse dans la liberté et dans la plénitude de vie et d’amour. Mais il sait que la justice ne peut faire son chemin qu’en traversant les tentations divinisatrices des uns et des autres. Lui-même, il le sait, ne voit la justice qu’à travers le prisme déformant de sa propre injustice. Si la justice était réalisée en plénitude, nous serions dans le monde à venir.

    Soyons lucides sur nous-mêmes et sur le monde. Tentés de prendre la place de Dieu, entretenons en nous l’appel à une justice venue d’ailleurs, issue de l’amour absolu.

    Ne soyons pas crédules devant ceux qui cherchent à se faire passer pour Dieu, mais ne soyons pas non plus obsédés par la pureté des intentions. La pureté mène à la tyrannie.

     

    L’image indépassable du Juste reste celle de Jésus.

    Le juste ne peut finir que sur une croix, tant le monde, habitué aux magouilles et aux compromissions, se sent mal à l’aise devant lui et ne peut en supporter même l’image.

    La justice, une vocation d’amour.

    Fr. André LENDGER

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