• 25 mai 2003 « Moi, je suis Dieu. »

    Une telle affirmation ne peut convaincre que celui qui la prononce, Dieu. Pourtant non seulement il la prononce, mais il l’assortit de phrases dans lesquelles il nous montre que nous sommes bien incapables de le comprendre, aveugles et durs d’oreille que nous sommes, avec un cœur appesanti et un esprit épaissi par la volonté de Dieu lui-même (Is. 6, 9-10 ; Mt 13, 14-15). Mais y a-t-il une autre façon de connaître Dieu que de commencer par ne pas le comprendre ? Ne nous faisons-nous pas illusion nous qui nous croyons le connaître ?

    Chacun de nous se fait son idée de Dieu. Il l’attend là où il pense qu’il se manifestera et de la façon dont il paraît logique à un esprit humain qu’il le fasse. Nous avons suffisamment conscience de la distance qui nous sépare de Dieu pour désirer qu’il se mette à notre portée, et croire qu’il s’abaissera pour nous, jusqu’à nous. D’ailleurs ne l’a-t-il pas fait déjà avec Jésus, le Christ, son fils ? Mais l’affaire s’est si mal passée que nous avons tué ce fils unique.

    Dieu a rendu l’esprit de l’homme suffisamment obscur pour que nous le cherchions sans le trouver, que nous le croisions sans le reconnaître, que nous évitions soigneusement les lieux où il se donne à voir. Mais comme nous aimons l’illusion de nos sens plus que la vérité de la foi, nous continuons de croire fermement l’avoir rencontré là où nous avons éprouvé quelque satisfaction sensible, sans nous soucier de la réalité de la rencontre.

     

    Or notre satisfaction n’est pas un bon critère de jugement. Dieu n’est ni dans le plaisir que nous retirons de sa fréquentation ni dans le déplaisir que nous ressentons de son silence ou de ce que nous appelons son abandon. Et pourtant oui, Dieu est bien là, dans ces sentiments, à condition que nous les soumettions à la critique et à l’analyse et que nous ayons le courage d’en dépasser la première appréhension. Le cœur de l’homme est trop petit pour se saisir de Dieu et le comble de l’aveuglement est de s’imaginer que Dieu s’est saisi de nous !

    Pourtant il est vrai que Dieu désire se saisir de nous et être saisi par nous. Mais en vérité et non dans l’illusion. Et cela ne peut se faire, le plus souvent, que dans l’épreuve. Jamais nous n’aurions la connaissance de Dieu qui est la nôtre si le Peuple de Dieu n’avait traversé le désert et surtout s’il n’avait vécu l’Exil, cette déportation massive qui a duré plus de 40 ans, où toute trace sensible de Dieu avait disparu. Jamais nous ne saurions que Dieu est amour si nous ne l’avions nous-mêmes fait passer par l’épreuve de la mort.

    Toutes ces épreuves ont été la conséquence de l’aveuglement de l’homme. En ce domaine comme en bien d’autres, nous faisons le mal en croyant faire le bien, nous plongeons tête première dans l’erreur en croyant tenir la vérité. Nous nous fions trop - c’est là un danger très contemporain - à nos jouissances sensibles comme preuve et assurance de la présence de Dieu. Abandonnons à la sensibilité ce qui lui appartient et profitons des apaisements qu’elle nous procure, mais évitons de lui faire dire plus qu’elle est habilitée à le faire

     

    Nous ne commencerons à pouvoir parler de Dieu en vérité que lorsque nous aurons compris qu’il nous faut passer par l’épreuve, quelle qu’elle soit (et elle peut être purement spirituelle). C’est là, quand nous sommes prêts à renier le seul qui est Dieu, le seul possible pour assurer l’homme en lui-même, quand nous nous sentons oubliés dans l’angoisse et le dénuement, c’est alors que nous avons la plus grande chance de le rencontrer, comme Marie-Madeleine le fit devant le tombeau vide, au comble du désarroi de sa vie.

    Lorsque nous voyons, dans notre monde où la religion devient un enjeu politique, des peuples prendre la défense de Dieu avec l’appui de prières intéressées et de moyens bien militaires, nous pouvons être sûrs au moins d’une chose : Dieu n’est pas avec eux. Mais il n’est pas davantage avec les autres. Il attend que de ces aveuglements multipliés et de ces catastrophes programmées jaillisse une lumière, étrangère à nos instincts de puissance.

    Alors il se révélera de nouveau comme Dieu, étranger à ce monde de violence et de haine, un Dieu qui échappe à l’aveuglement des hommes, trop au-dessus pour pouvoir être annexé et utilisé par eux, trop pauvre pour retenir leur attention, fait homme pour attirer l’homme à lui, dans la dépossession de ce que l’homme croit être la vérité sur Dieu.

    Dans l’attente de ce jour, force est bien d’avancer dans l’obscurité. Nous aurons fait un grand pas si nous évitons de mêler Dieu à nos querelles, sachant au moins son amour pour les pauvres auxquels il s’est toujours assimilé. C’est une indication, dans nos conflits sociaux, qui n’est pas neutre, quel que soit le modèle économique qui fait la préférence de chacun.

    Dieu seul est Dieu. Dieu seul se connaît lui-même.

    « 18 mai 2003 Opposition.1er juin 2003 Morale citoyenne. »

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