• 1er juin 2003 Morale citoyenne.

    Dans la mêlée syndicalo-politique de ces derniers temps, les projets de lois pénales sont passés presque inaperçus. Ils ne sont pourtant pas sans importance. Ils sont destinés à lutter contre l’insécurité et contre le grand banditisme, mais aussi à punir toujours davantage les crimes sexuels. Il est question de poursuivre les auteurs de tels crimes jusque trente ans après les faits. Cela ne revient-il pas à aligner peu à peu les crimes sexuels sur les crimes contre l’humanité, imprescriptibles ? Faudra-t-il ouvrir des prisons pour vieillards ?

    On peut cependant se demander si ces lois seront un garde-fou suffisant dans un monde qui fait la part belle à la pornographie sans favoriser l’éducation et sans faire évoluer le cadre social qui pourraient seuls servir de contre-poids ? Faute d’être en mesure d’assurer l’intégration des interdits sexuels par l’éducation, on compte sur la répression pour décourager les éventuels agresseurs. Si de telles mesures apaiseront les victimes, elles n’empêcheront pas leur multiplication, ce qui est pourtant l’un des buts de la loi. Au surplus il n’est pas sûr que de telles lois, mettant sans cesse davantage l’accent sur la délinquance sexuelle, n’aggravent pas le malheur des victimes par la dramatisation, rendant difficile leur apaisement par l’exigence d’une punition à la dimension d’un crime qui, parce qu’il atteint une personne dans son intimité la plus profonde, apparaît infini, inexpiable. Reste-t-il une place au pardon ?

     

    D’autres lois ont été examinées, qui ne sont pas sans poser des problèmes moraux. Ainsi de la loi qui permet de récompenser les délinquants qui acceptent de travailler avec la police. Cette loi légalise la délation et accorde un statut très appréciable au délateur.

    Personne ne niera que la police a besoin de renseignements et qu’elle doit se donner les moyens de les obtenir, surtout en matière de grand banditisme et de terrorisme. Tous les moyens ? C’est ce qu’on a dit pendant la guerre d’Algérie. Le recul nous fait voir les limites de ces moyens et l’opprobre qu’ils font planer sur notre pays des années après. Des pays, les Etats-Unis en particulier, connaissent des procédures qui permettent d’acheter la conversion d’un criminel. Celui-ci n’aura pas à répondre de ses crimes et il sera protégé. Ce procédé donne certainement des résultats, très insuffisants toutefois pour supprimer la criminalité.

    Si personne n’osera dire que la délation est inefficace, tout le monde conviendra qu’elle est immorale, et plus immoral encore le fait de se faire acheter comme délateur, c’est-à-dire traître. Tous les régimes totalitaires utilisent ce procédé. Les Judas potentiels sont innombrables. En faire l’éloge au point de leur donner un statut légal pose des problèmes de morale sociale. Ceux qui n’ont aucune conscience – et ils sont nombreux – trouveront là une façon de se couvrir de leurs méfaits. Le plus inquiétant est qu’ils feront école bien au-delà de la grande criminalité. La délation, légalisée, risque d’avoir des effets pervers sur la vie sociale. Comment construire une société fraternelle si l’on doit se méfier de ses plus proches amis ?

     

    Les questions posées par ces lois récentes sont importantes en matière d’éducation. On parle souvent du manque d’éducation civique à l’école. Quelle éducation se propose-t-on de donner aux jeunes générations ? quelle éthique humaine veut-on leur inculquer ? comment proposer aux élèves dans les écoles une morale sociale dans laquelle la délation est légalisée, même si c’est pour la bonne cause ? Car qui ne croit pas que sa cause est juste ? Judas lui-même s’est certainement senti justifié lorsqu’il a monnayé son renseignement sur Jésus ! Or c’est la loi qui donne le code moral de la nation. Judas deviendra-t-il un modèle positif ?

    Telle n’est pas, bien sûr, l’intention du législateur. Aussi n’est-il pas indifférent de voir les conséquences de ses décisions dans des domaines sensibles, à une époque où les points de repères moraux sont rares. La morale sociale actuelle se constitue autour de la notion de répression pour exorciser les peurs et les exacerbations affectives et sécuritaires. Est-ce le bon repère ? Il est souhaitable de lutter contre le tabac, l’alcool, la drogue… mais face à tous ces interdits légitimes, quelles valeurs et quels buts exaltants la société propose-t-elle aux jeunes pour se construire et construire la société de demain ? car si la société est incapable de proposer un sens à la vie de nombreux jeunes en difficulté, ceux-ci trouveront des suppléances aux produits interdits, seuls capables de les aider à faire face au vide et au stress de leur existence présente et à venir. Gageons que ces suppléances initiatiques seront vite interdites à leur tour parce qu’en rupture avec les règles sociales tolérées.

    Le problème de nos gouvernants est de protéger la paix et la justice sociales tout en prenant des mesures qui ne soient pas en contradiction avec l’idéal moral que nous avons de l’homme.

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