• 10 février 2002 - Madagascar en crise. Survie et choix politique.

    Le peuple malgache se trouve engagé dans un bras de fer entre le président Ratsiraka et son challenger aux élections présidentielles, Marc Ravalomanana. Le premier s’accroche au pouvoir après avoir proclamé des résultats contestés et imposé une apparence de légalité, le second se proclame déjà élu sur la foi de ses propres décomptes.

    Nous connaissons la suite : les foules se rassemblent dans d’impressionnantes manifestations autour de leur candidat, dans un rejet total de l’amiral-président.

    Quelle sera l’issue de cette confrontation ? s’arrêtera-t-elle à temps avant la violence ?

    Une chose est certaine : l’économie de l’île sortira exsangue de grèves massivement suivies. Les habitants, déjà fort pauvres et bien souvent dans la misère, s’installent dans des conditions de survie qui vont accroître encore la précarité de leur état.

    Nous pouvons penser qu’il s’agit d’un phénomène de foule totalement irrationnel.

    Au contraire nous pouvons y voir le choix fait par une multitude de personnes, réunies pour faire prévaloir, dans la clarté et la vérité, leurs propres options politiques, rejetant un régime corrompu qui est loin d’avoir fait sortir le pays de son sous-développement.

    Le pacifisme de cette foule et l’absence de débordement qui la caractérisent sont la preuve que ces hommes et ces femmes savent ce qu’ils veulent, ne se réunissent pas sous la contrainte, ont mûrement réfléchi à leur engagement et en acceptent les conséquences

     

                Dans notre monde occidental, on ne fait généralement la grève que pour réclamer des augmentations de salaire ou des améliorations des conditions de vie ou de travail. Il est frappant de voir qu’un peuple dans la misère estime plus important de s’appauvrir un peu plus pour que soit respectée la volonté des citoyens, telle qu’elle s’est exprimée dans un vote démocratique. Même si l’économie du pays s’en trouve provisoirement brisée.

    Des occidentaux à la tête froide et calculatrice peuvent penser que cette situation présente des aspects de suicide collectif. Dans leur logique, ils ont raison. Mais un peuple pauvre n’a pas peur d’être provisoirement plus pauvre dès lors qu’il gagne, dans une action de cette sorte, quelque chose de plus essentiel que l’argent, sadignité.

    Les occidentaux ont perdu le sens du désintéressement et de la gratuité du geste qui peut aller jusqu’à la perte d’avantages matériels en vue d’atteindre un but difficile mais de grande valeur humaine. Nous nous comportons en consommateurs prêts à vendre leur âme pour nous enrichir ; d’autres engagent toutes leurs forces pour accéder, dans la liberté et la justice, à plus d’humanité, ce qui est une valeur culturelle purement spirituelle.

    Mieux vivre, pour nous, cela veut dire avoir plus. Qu’importe que l’argent soit sale !

    Ceux qui au contraire n’ont rien, ceux qui n’ont même pas l’espoir d’arriver demain à une suffisance matérielle, vont à l’essentiel, la défense de leur dignité. Qu’on les respecte et qu’on respecte leurs choix. Pour cela, ils sont prêts à perdre même le peu qu’ils ont encore.

     

    Ce peuple s’est vu tout enlever, il essaie maintenant de sauver au moins sa dignité. Cela s’appelle la vertu, un mot complètement oublié et dévalorisé chez nous. Le mot ‘vertu’ évoque le plus souvent un comportement infantile ou moralisant, étroit et mesquin. La vertu, au contraire, est le moteur de la vie humaine. Elle nous fait choisir les valeurs qui font de nous des hommes et non des animaux, des êtres accessibles non seulement à la connaissance rationnelle mais à la vie morale au sens le plus noble du mot, une valorisation par l’esprit.

    Le monde matérialiste, tel qu’il se développe, fait perdre à l’homme le sens de sa grandeur. Des peuples préfèrent vivre riches mais dépendants, avec tout ce que cela peut avoir d’avilissement, plutôt que de vivre moins riche mais par leurs propres moyens. De même qu’une personne peut être dite ‘entretenue’ lorsqu’on la paie bien pour qu’elle fasse ce qu’on lui demande tout en se taisant, on peut parler de peuples ‘entretenus’. L’un n’est pas plus honorable que l’autre. Cela signifie une abdication de sa dignité humaine, une démission devant la force de la vertu, un renoncement à vivre libre pourvu qu’on ait le ventre trop plein.

    Les peuples soi-disant sous-développés seraient-il le dernier refuge où nous pouvons rencontrer des hommes encore attachés à ce qui nous constitue tous en propre ? Madagascar, dans sa misère, aurait-elle des leçons à donner aux riches que nous sommes ?

     

    Ne nous laissons pas déposséder de la vertu, elle fait de nous des humains.

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