• 1er Juin 1997 - "Faire du mal"

    "Faire du mal"

    Nous utilisons souvent une expression pour l'autre quand un monde les sépare.

     

    Que peut-on dire d'autre à un enfant qui n'est pas encore en mesure de voir la portée de ses actes, sinon la formule hâtive et passe-partout : "c'est mal" ?

    Bien souvent l'enfant en restera là, et reprendra la même formule à l'âge adulte.

    Le bien et le mal semblent ainsi définis par l'énoncé verbal qu'en font les adultes... qui le répéteront plus tard à leurs enfants sans avoir jamais réfléchi à sa signification.

    Bien et mal sont figés dans des stéréotypes sociaux qui se transmettent de génération en génération, pour tracer une ligne de démarcation entre obéissance et transgression.

    Celui qui transgresse fait le mal et sera puni. Celui qui obéit sera l'objet de louanges.

    Cette façon de situer le bien et le mal peut être efficace dans des sociétés bien structurées, où le simple énoncé du permis et du défendu sert de repère.

    Tel n'est pas le cas de nos sociétés mouvantes, déséquilibrées et déséquilibrantes.

     

    "C'est mal" a besoin d'être explicité par la formule : "faire du mal".

    C'est passer du simple repère social à la responsabilité personnelle à l'égard d'autrui.

    Faire du mal, c'est faire du mal à quelqu'un, l'atteindre de telle sorte qu'il gardera toute sa vie la marque de ce qu'il aura subi, une marque qui pourra le laisser handicapé à vie.

    L'auteur de l'acte en recevra un choc en retour. Il sera meurtri par un effet de boomerang pour autant qu'il aura fait place à l'autre dans sa conscience  

          - soit qu'il prenne conscience des dommages causés à autrui

          - soit qu'il s'enfonce dans le cynisme et le plaisir pervers.

    Il reconnaîtra qu'en faisant de l'autre sa victime, il se rend victime de lui-même.

    Passer de "c'est mal" à "faire du mal" ne peut venir que d'un saut de la conscience.

    C'est comprendre qu'il faut éviter le mal non parce que tel acte aurait été déclaré mauvais de toute éternité, mais par respect et amour de l'autre et de soi-même. Non par peur de l'interdit ou dans le seul but d'éviter une punition, mais par souci d'accueillir l'autre et soi.

    Telle est la mission des éducateurs, et en premier lieu des parents : éveiller la conscience de l'enfant et l'ouvrir à sa responsabilité à l'égard de l'autre.

     

    Cette responsabilité, en cas de transgression, ouvre la porte à la répression.

    Dans un premier temps la répression protège ceux qui sont exposés à toutes les formes de mal social. Elle fait régner l'ordre sans lequel aucune société ne peut exister.

    Mais la répression n'aide pas à passer du "c'est mal" au "faire du mal".

    Par son mode d'intervention, elle donne des gages à la prédominance du "c'est mal" comme seule norme morale objective, tant dans la conscience des fautifs que du corps social.

    Les critères du mal social pourront bien évoluer, la norme répressive du moment sera toujours un "c'est mal", donné comme un a priori qui se passe d'explication.

    S'il est vrai que, dans nos pays occidentaux, la répression tend à se faire éducative, elle n'est pas conçue pour suppléer aux carences familiales.

    Elle ne peut ouvrir au sens de l'autre que négativement, par la crainte, même si certaines personnes peuvent passer, grâce à elle, de la crainte à l'amour.

    Mais, venant souvent trop tard, une telle conversion ne palliera pas forcément l'absence de structure psychologique et affective initiale et la récidive demeurera possible.

     

    Les sociétés sont ainsi faites - et comment pourrait-il en aller autrement ? - que chacun est déclaré responsable de ses actes, quelles que soient l'éducation ou l'absence d'éducation dont il a pu ou non bénéficier. L'injustice du système est criante : je dois rendre compte d'actes dont le mal vient de l'irresponsabilité de ceux qui m'ont éduqué, parents et société. Mais il n'est pas possible de les faire comparaître. Ils sont hors d'atteinte.

    Impossible d'arrêter le cercle du mal, il est lié à la condition de l'homme pécheur.

    Seule une vie spirituelle intense peut ouvrir les yeux de notre cœur à un amour de l'autre et de soi assez grand pour combler nos lacunes et nous aider à renoncer au mal.

    Avoir conscience que nous faisons du mal - à d'autres et à nous - est déjà une grâce.

     

    fr. André LENDGER

     

    « 25 mai 1997 - La relation humaine. 8 Juin 1997 - Les plaies sont source de douleur. »

    Tags Tags : ,
  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment



    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :